REPORTAGEParis: «Que les parlementaires nous laissent travailler, ce n’est pas aux prostituées de payer»

Paris: «Que les parlementaires nous laissent travailler, ce n’est pas aux prostituées de payer»

REPORTAGELe Sénat a supprimé de la proposition de loi sur la prostitution la pénalisation des clients au profit du délit de racolage. Dans le 2e arrondissement, rue Blondel, les «traditionnelles» s’agacent…
Romain Lescurieux

Romain Lescurieux

Un coup c’est pour les clients, un coup c’est pour les prostituées. Et dans la rue Blondel (2e arrondissement), passage historique de la prostitution parisienne – cité en tant que telle dans des œuvres populaires de Brassens à Booba – les «filles» ne savent plus où donner de la tête. En effet, dans la nuit de lundi à mardi, le Sénat a supprimé de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la prostitution la pénalisation des clients et rétabli le délit de racolage, initialement prévu pour être abrogé.

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Ce mardi, entre 12h et 14h, le sujet est sur toutes les lèvres, redessinées au crayon noir corbeau. Debout sur le trottoir ou assises dans les cages d’escalier, les «traditionnelles» déblatèrent sur la proposition de loi, sous les regards insistants des passants.

Quatre clients et «la peur»

«Personne ne doit être pénalisé, ni nous, ni nos clients. Nous sommes indispensables à la société», raille avec un accent du sud et enroulée dans sa fourrure, Olivia*. «Olivia Newton John», s’esclaffent ses collègues blondes platine, avant de reprendre le fil des préoccupations. «Ce qui compte le plus c’est que nos clients viennent encore», ajoute du haut de ses soixante ans l’une des doyennes de cette rue.

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Dans le va-et-vient, Sabrina qui officie rue Saint-Denis, passe saluer les collègues de Blondel. Et s’immisce dans la discussion «Mes clients ont peur. Surtout les Français de souche», confie-t-elle, les yeux cachés par des verres teintés. Ce lundi, elle a eu quatre clients. Olivia, «une seule passe», souffle-t-elle. Mais aujourd’hui, c’est à leur tour d’être dans le viseur du Sénat, avec le retour du délit de racolage, qu’elles disent néanmoins préférer.

«L’interdiction du racolage est un demi-mal»

«L’interdiction du racolage est un demi-mal. C’est un retour en arrière mais c’est toujours mieux que de perdre les clients», assène Olivia. «La police nous connaît, ils nous laisseront tranquilles. Avec les portables, nous nous organiserons autrement», assure sereinement Sabrina. Toutefois, le texte de loi doit repartir en deuxième lecture à l'Assemblée. En cas de désaccord entre les deux chambres, ce seront les députés qui auront le dernier mot. Sans doute, celui de pénalisation des clients. Ce qui les met hors d’elles.

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«Nous ne sommes pas des victimes. Nous ne sommes pas dans des réseaux», détaille Sabrina. Olivia acquiesce et renchérit: «La prostitution est un choix. Nous sommes toutes propriétaires d’un studio dans la rue et nous voulons pouvoir travailler en paix, pour vivre et manger», tient-elle à préciser. Surtout, toutes rappellent qu’elles payent des impôts. Alors, «que les parlementaires nous laissent travailler. Ce n’est pas aux prostituées de payer», sourit Sabrina.

«L’année dernière, j’ai payé 14.800 euros d’impôts sur le revenu»

Déclarée en tant que professionnelle libérale, «prestataire de services à la personne», avec un numéro de Siret, la jeune fille dit avoir payé 14.800 euros d’impôts sur le revenu en 2014, en plus des 10.400 euros versés à l’Ursaff. «Dans ce métier, on peut gagner beaucoup mais on paye aussi beaucoup», explique cette trentenaire aux dix ans de métier, qui travaille aussi de temps en temps en Suisse, où la prostitution est réglementée.

«Ce boulot que j’adore, c’est ce qui me permet de faire vivre ma famille et de payer la scolarité de mon fils. Si on touche à mes clients on est foutus», soupire cette «gagneuse de la rue». «Allez, je me maquille et j’embauche», lâche-t-elle, en s'engouffrant dans la rue Saint-Denis.



* Le prénom a été modifié