A quoi ressemble la prostitution en France aujourd’hui?
SOCIETE•Lundi et mardi prochains le Sénat examinera la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. L'occasion de mieux connaître ce phénomène en France...
Delphine Bancaud
Cachez ces prostituées que la société ne saurait voir. Alors que le Sénat examine en début de semaine la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, 20 minutes fait le point sur ses différents visages dans notre pays.
La pénalisation des clients de prostituées, une mesure efficace à l’étranger?
Combien de personnes se prostituent en France?
Selon un rapport d'information de la commission des affaires sociales du Sénat publié en 2013, entre 20.000 et 40.000 personnes se prostituent aujourd’hui en France. Des statistiques qui sont imprécises, «en raison de la volatilité de cette population. Car si des mesures répressives sont prises dans une région ou dans un pays, les réseaux n’hésitent pas à déplacer les prostituées», souligne la sénatrice (UDI) Chantal Jouanno, coauteur du rapport de 2013.
Quel est leur profil?
D’après le rapport du Sénat, 85 à 90% des personnes qui commercialisent leur corps sont des femmes et 10 à 15% sont des hommes ou des transsexuels et des transgenres. «La plupart d’entre elles sont jeunes et ont démarré cette activité avant leur majorité, car elles sont plus faciles à embrigader à cet âge-là», précise Guy Geoffroy, député de Seine-et-Marne et rapporteur de la mission d'information parlementaire sur la prostitution en France. Ce qui ne signifie pas que les prostituées seniors n’exerceraient. Ainsi, en 2012 l’association «Avec nos aînés», affirmait qu’environ 200 femmes de plus de 60 ans exerçaient au bois de Boulogne et de Vincennes, en périphérie de Paris.
Où exercent-elles?
La prostitution de rue «tend à s’éloigner des grands centres urbains pour s’exercer dans des lieux périphériques, moins accessibles aux services de police», souligne le rapport du Sénat. Les bois, les caravanes au bord des routes servent ainsi de cachette à ces activités clandestines. Et les hôtels de passe restent toujours bien ancrés dans le territoire. Le phénomène est aussi bien présent dans les bars à hôtesses et les salons de massage. «Mais les jeunes femmes préfèrent désormais la discrétion d'Internet, offrant leurs charmes sur des sites d'annonces en ligne sous couvert d'offres de rencontre, de contact ou de massage», souligne un document du ministère de l’Intérieur.
De quelle nationalité sont-elles?
Selon le ministère de l’Intérieur, désormais 80% de prostituées sont étrangères. Elles viennent essentiellement d'Europe de l'Est (Roumanie et Bulgarie en tête), d'Afrique subsaharienne (Nigeria, Ghana), de Chine et du Brésil. Ce qu’explique en partie Guy Geoffroy: «La chute des frontières à l’est et la persistance dans ces pays d’une grande misère et de réseaux criminels très importants ont favorisé leur venue en France. Les crises politiques en Afrique ont aussi encouragé leur développement en France».
Comment exercent-elles?
«Environ 90 % d’entre elles sont des victimes de la traite d’êtres humains. Car elles sont généralement enlevées de leur pays par le truchement de multiples mensonges de la part des proxénètes. Arrivées en France avec un visa de tourisme, elles sont sans papiers, ce qui les rend totalement vulnérables», explique Guy Geoffroy. «Certaines sont contraintes à participer à des films pornographiques que l’on menace de montrer à leur famille si elles n’obtempèrent pas. Les proxénètes cassent ensuite leur capacité de résistance en leur faisant faire jusqu’à 20 passes par jour», souligne Grégoire Théry, secrétaire général du Mouvement du Nid, une association «agissant sur les causes et les conséquences de la prostitution». Selon le ministère de l'Intérieur, la prostitution rapporte entre 1 et 2 milliards d'euros par an aux réseaux de proxénètes. Et selon un rapport de police judiciaire, une prostituée de rue rapporteriat en moyenne 78.000 euros par an.
Enfin, selon Guy Geoffroy, les 10% des prostituées qui exerceraient de leur propre chef, seraient sous le coup d’autres contraintes moins invisibles: «certaines d’entre elles ont été violées dans leur enfance et sont détruites psychologiquement, d’autres vivaient auparavant dans une précarité absolue». Difficile donc de parler d’un choix dans ces cas-là