« On est en train de lutter contre une oppression tout en la vivant », explique Anna Toumazoff
Féminisme•À 27 ans, l’activiste féministe multiplie les posts Instagram, les textes et les combats sur le terrain… Portrait d’une téméraire qui veut « faire du bien aux gens »Pauline Ferrari
Son visage et ses punchlines sont connus par une grande partie de la sphère féministe qui fréquente les réseaux sociaux. Anna Toumazoff, 27 ans, est à la tête du compte Instagram @memespourcoolkidsfeministes, où plus de 160.000 abonnés la suivent pour ses mémes sur le féminisme, mais aussi pour les combats qu’elle mène pour améliorer les conditions des droits des femmes. Au commencement, elle voulait « vulgariser le féminisme, parce que j’en avais marre d’avoir toujours les mêmes discussions en soirée ou sur Twitter. Je me suis dit que si je centralisais tout sur une même page, ça donnerait un propos global ». Très vite, elle crée des mémes, ces images humoristiques virales, où elle parle de sujets qui touchent les femmes et les minorités de genre : les violences sexistes et sexuelles, les relations toxiques, les propos sexistes de certains hommes politiques...
En 2019, elle lance le hashtag #UberCestOver, à la suite du témoignage d’une abonnée qui a vécu une agression sexuelle lors d’une course en Uber. « Ça m’est tombé dessus, ce n’était pas du tout prévu. J’essayais de donner de la force à une abonnée qui m’a envoyé un message, et là je me suis rendu compte qu’il y avait un phénomène d’ampleur » se souvient-elle. Le hashtag se répand, les témoignages affluent, et Anna Toumazoff se retrouve propulsée sur les plateaux télévisés pour parler de ces sujets : « Tu n’es jamais prête pour être propulsée dans les médias. Tu t’habitues jamais vraiment parce que l’être humain n’est pas fait pour être exposé comme ça, ce n’est pas totalement sain ». S’ensuivront les mouvements #SciencesPorcs, sur les agressions sexistes et sexuelles au sein de la grande école Sciences po, ou encore #DoublePeine, sur le mauvais accueil des victimes de violences dans les commissariats ou les gendarmeries.
« J’ai appris à m’affranchir des menaces des fachos, peut-être que ça me rend un peu téméraire parfois »
La médiatisation soudaine de la militante lui attire les foudres de l’extrême droite, des antiféministes, des personnalités politiques. « C’est pour ça que j’ai pu beaucoup parler de santé mentale, parce que j’ai mise la mienne à rude épreuve » souffle-t-elle. Une vie « bizarre, où on mène tout de front », qui lui réclame d’être bien entourée. « Les menaces que je reçois, de mort, de viol, de défiguration, j’en parle avec froideur et détachement parce qu’il y a certaines cases de mon cerveau qui sont grillées. Ce n’est pas normal de s’habituer à ça » ajoute-t-elle. Entre Bruxelles et Paris, elle continue à écrire, à porter ses combats, mais désormais elle ralentit… « J’ai appris à m’affranchir des menaces des fachos, peut-être que ça me rend un peu téméraire parfois » lâche Anna Toumazoff dans un demi-sourire. En plus de quatre ans sur les réseaux, elle tente de se protéger, et de préserver sa santé mentale.
La question de la santé mentale lui tient particulièrement à cœur : « On est en train de lutter contre une oppression tout en la vivant, donc c’est deux choses très complexes » explique-t-elle. Alors elle passe le relais, s’entoure, fait collectif. « J’ai considéré rapidement que pour pleins de raisons, qui sont liés à beaucoup de privilèges que je peux avoir, on me donnait la parole. Et donc que c’était très important de la distribuer à des consœurs et des adelphes qui étaient peut-être mieux capables de parler de choses qui les concernaient » développe la militante. Le numérique, c’est bien, mais le combat se fait aussi au quotidien, partout, tout le temps.
Honnêteté intellectuelle, stratégie politique et responsabilité
Il y a quelques mois, Anna Toumazoff publiait Ta vie sans filtre : d’alcool à voyage, 100 mots pour tout comprendre (Editions Mango Jeunesse), sorte de Dico des ados nouvelle génération, le slut-shaming et la culpabilisation en moins. En ce mois d’octobre, elle nous confie vouloir « continuer à écrire, continuer les réseaux, essayer de m’étendre sur d’autres formats aussi… Le but, c’est que les gens soient bien ». Pour l’avenir, elle voit son activité en deux parties : « Continuer à fracasser le patriarcat du mieux que je peux, avec toujours de l’honnêteté intellectuelle et de la stratégie politique, et faire du bien aux gens, leur rappeler que ça va aller, et qu’il faut se préserver ».
La fatigue militante, qu’elle connaît bien, pousse de nombreuses activistes à se retirer quelque temps des réseaux sociaux et des organisations politiques. « Quand j’en aurai marre, je me retirerai : quand on est en fatigue militante, on se fait du mal et on est peu stratégiques ». À 27 ans, la miliante se sent investie d’une responsabilité : « en étant visible, je dois montrer que même si on a l’air forte, on a le droit d’aller mal aussi parfois, qu’on a tous et toutes des failles ». Car la lutte féministe se mène tous les jours, pas à pas, post après post : c’est une course de fond.
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