Facebook vous aide à gérer vos amis: «Les Gafa ont tendance à vouloir nous surassister»
INTERVIEW•Le réseau social Facebook interfère de plus en plus dans nos relations sociales…Propos recueillis par Clio Weickert
L'essentiel
- Facebook dispense ses conseils à ses utilisateurs pour « prendre ses distances avec quelqu’un ».
- « 20 Minutes » a demandé à un expert des mondes numériques ce que cela révélait de notre société.
Pour des raisons sentimentales (après une rupture), ou des opinions politiques divergentes (durant la campagne présidentielle par exemple), vous avez peut-être déjà été confronté à cette situation : supprimer définitivement une personne de votre liste d’amis sur Facebook. Une décision radicale, et pas forcément évidente. Pour vous aider, le réseau social de Mark Zuckerberg dispense désormais ses conseils pour « prendre ses distances avec quelqu’un », en limitant notamment ce que vous voyez de la personne, ainsi que ce que vous lui montrez. En d’autres termes, une manière de ne pas tirer un trait définitif sur un « ami », en l’éloignant tout de même de sa vue. Un conseil plutôt judicieux qui a le mérite de ne froisser personne.
Facebook intervient de plus en plus sur la façon de « gérer » nos relations sociales, sans que cela ne semble nous affecter plus que cela. Michael Stora, psychologue-psychanalyste, expert des mondes numériques et coauteur du livre Hyperconnexion (Larousse), a expliqué à 20 Minutes ce que cela pouvait refléter de notre société.
Qu’est-ce que cela dit de nous, selon vous ?
A un moment, Mark Zuckerberg a plus ou moins fait comprendre qu’il souhaitait que Facebook devienne Internet et qu’Internet devienne Facebook. Il y a quelques années, ils avaient aussi créé des sortes de pages funérariums, pour accompagner les gens… Donc on voit bien à quel point ils interviennent dans la vie de tous les jours pour nous aider, même dans nos malheurs. C’est une manière de nous montrer qu’ils ont une dimension humaine.
Est-ce que cela ne fait pas de nous des assistés des rapports humains ?
Je pense qu’Internet ne fait que renforcer cette tendance qu’a notre société à vouloir nous protéger de nous-mêmes et à nous entourer de services. On voit bien que la personnalisation des services due à Internet et aux algorithmes nous donne l’illusion que nous sommes des êtres à part, différents. Je pense qu’à travers ce service ce n’est pas tant de nous assister mais aussi de nous donner l’impression que Facebook est soucieux de notre bien-être. En anglais, il y a d’ailleurs marqué « what’s on your mind ? » (qu’est-ce qui vous préoccupe) sur l’interface du réseau social.
Cette façon de « mettre des distances » au lieu de nous séparer tout simplement d’une personne qui nous dérange, ne nous complait-il pas dans une certaine forme de lâcheté ?
C’est à peu près la même chose dans la vraie vie. S’il y a quelqu’un que vous ne voulez pas croiser, vous changez de trottoir. J’ai tendance à penser que tout cela ne fait que reproduire ce qui se passe dans la vraie vie. Après, peut-être qu’effectivement, si on en veut à quelqu’un, idéalement il faut pouvoir avoir le courage de discuter avant de prendre une décision. C’est une forme de lâcheté, mais je trouve que les gens sont de moins en moins adeptes de la critique, c’est peut-être lié à leur fragilité narcissique… Dès que vous rentrez dans une discussion, les gens sont trop frontaux et manquent de diplomatie, ou alors ils sont dans une sorte d’évitement total.
Tendons-nous de plus en plus à nous reposer sur les réseaux sociaux et des algorithmes pour gérer nos relations sociales ?
J’ai presque envie de poser la question autrement : comment les algorithmes font de nous des êtres sociaux prédéterminés ? Je pense de plus en plus que lesGafa ont une tendance à vouloir nous enfermer dans un mode de pensée, et nous surassister. Nous sommes un peu cernés. Et au-delà des algorithmes, il y a des philosophies derrière, qui sont du côté du « like ». Non pas le « like » au sens de « j’aime », mais le « like » au sens de « comme », de ce qu’on vit et de ce que l’on aime, et qui finalement nous empêche de nous ouvrir à la nouveauté. Ils veulent nous protéger de nous-mêmes en espérant que nous soyons des petits fonctionnaires avec une approche manichéenne de nos désirs.