INTERNETYoutube: «Content ID», Majors et vidéastes en guerre

«Content ID», ce robot qui énerve les youtubeurs

INTERNETSi la plateforme est plébiscitée par les vidéastes, les ayants droit limitent parfois la création de façon absurde…
Pierre Cloix

Pierre Cloix

«Content ID », vous n’avez peut-être jamais entendu parler de ce programme, et c’est bien normal, mais vous avez très certainement pu être confrontés à ce genre d’images en vous rendant sur Youtube :

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Si c’est le cas, c’est que la vidéo que vous souhaitiez regarder a été retirée pour infraction aux droits d’auteur. Signalée par un employé de Warner tombé sur votre vidéo et ses quelques secondes prisent à Batman Begins pendant sa pause déjeuner ? Pas vraiment. « Content ID » est un programme qui analyse les vidéos présentes sur Youtube et qui les compare à une banque de contenu envoyé par les « gros poissons » : Warner, Sony, Canal +, Universal et bien d’autres… Si la vidéo en question reprend un film, un morceau de musique ou une émission qui n’appartient pas à celui qui publie, la vidéo est bloquée. A priori, « Content ID » est un outil imparable pour lutter contre le « vol culturel », mais il y a un hic…

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Un frein pour la création des youtubeurs

Le problème, c’est que « Content ID » fonctionne sur des données et seulement des données : s’il y a correspondance avec un ayant droit, on enlève et c’est tout. Ce manque de regard humain empêche de faire certaines distinctions, et pas des subtiles, mais des bien grossières. Le gentil robot de Youtube ne fait ainsi pas la différence entre un youtubeur qui utilise l’extrait d’un film pour analyser/illustrer son propos et un autre qui publiera le même film dans son intégralité. Lionel Morel, (@Calimaq) auteur du blog S.I.Lex et spécialiste de la question du copyright sur Youtube, explique : « Le problème, c’est que ce robot n’est pas capable de discerner la reprise intégrale d’une œuvre, d’un extrait. Impossible pour lui de dissocier les deux, ni de contextualiser : même si un extrait est utilisé pour dans un but créatif et non tel quel. »

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Du coup, tout un tas de youtubeurs se trouvent embarrassés puisqu’ils sont censurés dans leur travail. Les sanctions peuvent aller jusqu’à la démonétisation d’une vidéo (Tous les revenus reviennent alors à l’ayant droit) ou encore la suppression pure et simple du compteYoutube : un sacré coup dur lorsque faire des vidéos est une passion avant d’être un métier. C’est le cas de MisterJDay, vidéaste qui compte plus de 500 000 abonnés : « Pour certains Content ID est un frein financier, moi je suis surtout sidéré quand une vidéo sur laquelle j’ai travaillé trois à quatre semaines voit sa diffusion coupée ». Le youtubeur, reconnu pour ses analyses de clips a vu par deux fois son contenu censuré dans le monde entier par Sony Music. L’une de ces vidéos, d’une durée de 28 minutes, était celle qui avait rapporté à MisterJDay son record de vues (sur une vidéo) et traitait d’un clip de Charly Bell : ne pas utiliser d’images pour ce genre de réalisation relève de l’impossible.

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Si jamais vous essayez de contrer cette décision, un « jugement virtuel » a alors lieu, avec d’un côté le youtubeur et de l’autre l’ayant droit. Sauf que ce jugement est arbitré par… L’ayant droit, qui n’a même pas à se justifier si sa décision est une dé-publication définitive d’une vidéo. Un beau casse-tête, et pourtant il ne s’agit là que de ce qui se passe du côté de Youtube.

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Et du côté des « ayants droit » alors ?

Pour les professionnels, il s’agit avant tout d’un outil extrêmement efficace. Cyrille-Vincent Pelossier, Responsable Digital Media pour France Télévision, explique : « Pour nous c’est très pratique : on peut déterminer à l’avance si on autorise les extraits ou non, la durée possible de ces derniers, les pays où il est diffusable, etc... » Quitte à limiter la créativité des youtubeurs ? Peut-être, mais pour Cyrille-Vincent, Youtube n’est pas une plateforme où l’on reprend les images des autres : « A l’origine, le slogan de Youtube était « Broadcast Yourself », ce qui veut bien dire que les vidéos postées doivent être originales. Même si ça a évolué aujourd’hui. »

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A tort ou a raison ? « Oui la parodie est autorisée, mais quand nous sommes tombés sur une vidéo de Tchoupi avec des dialogues pour adultes, on a bien dû enlever pour que des enfants ne tombent pas dessus. Et comme Youtube ne peut pas traiter humainement des millions d’heures de contenu, Content ID est l’une des seules solutions. »

Ce que dit la loi

D’un point de vue législatif, l’ensemble est assez flou. En France, la citation est en effet autorisée par l’article L122-5 de la loi du 8 juillet 2013. Cependant, lorsqu’il s’agit de « citation », il y a une distinction entre une phrase tirée d’un livre et un extrait audiovisuel : il n’existe aujourd’hui aucune loi explicite à ce sujet. « Les youtubeurs n’ont pas la liberté qu’ont les auteurs depuis des décennies » indique ainsi Lionel Morel. D’autant plus qu’en France, et c’est inscrit dans la même loi, le fait de parodier et de caricaturer est tout à fait légal. Pourtant, une chaîne comme Mozinor s’est faite censurer car elle utilise des extraits de films, bien que ce soit dans un but parodique. D’ailleurs, l’auteur de la chaîne ne manque pas de pousser un coup de gueule dans sa description : « Mon précédent youtube a été détruit en 2006 (Titanic Park) par des bots incapables de faire la différence entre parodies et images piratées. »

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Aux Etats-Unis, le Fair Use inscrit dans la loi américaine veut que, si l’usage d’un extrait est « de bonne foi », il doit pouvoir être utilisé (dans le cas d’un commentaire par exemple.) Seulement, dans les faits, c’est un peu plus compliqué : en témoigne l’affaire « dancing Baby » où, dans une vidéo d’un bébé en train de danser, un morceau de Prince peut être entendu en arrière-plan. Certes, la maman de la jeune fille l’a emporté devant le tribunal, mais cela a duré plus de huit ans…

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En France, « Un Youtubeur individuel ne gagnera jamais tout seul » selon Lionel Morel. Si certains, qui font partie de « networks » (entités qui regroupent des chaînes), se voient « moins pris pour cibles par Youtube » d’après le blogueur, il n’en reste pas moins que la solution pourrait passer par un regroupement de vidéastes en un « syndicat » d’après le créateur de S.I.Lex. « On en parle entre nous et on voudrait faire quelque chose » déclare MisterJDay, « Mais fédérer tout le monde serait compliqué : ce que nous faisons sur Youtube, ça ne représente pas un quart de ce qui est produit. Il faudrait aussi trouver un leader et quelqu’un pour s’occuper de l’administratif. Je suis même prêt à payer une cotisation, mais je ne pense pas que tout le monde serait d’accord. »

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Pour le Responsable Digital Media de France Télévision, le problème est que la législation du pays où est diffusée la vidéo n’est pas équivalente à celle de Youtube : « Tout ça est très flou : en admettant que la vidéo d’un youtubeur soit en accord avec les politiques de Youtube, elle ne le sera pas forcément avec la loi du pays où elle est diffusée, et inversement. » Et comme Youtube redoute les attaques en justice, la plateforme laisse l’arbitrage aux principaux concernés, en se déresponsabilisant.

D’autres solutions ?

On a donc une confrontation entre Majors de l’industrie culturelle (Sony, Warner, Universal…), Youtube et les vidéastes. Selon Lionel Morel, les majors feraient de plus en plus pression sur Youtube pour que la plateforme sévisse contre les youtubeurs : « Elles n’ont pas encore compris les opportunités qu’ils pouvaient représenter : elles les considèrent encore comme des pirates en puissance. » Une vision « vieillotte », ou du moins pas actualisée qui empêcherait la symbiose entre les trois partis. « Les majors ont peur de Youtube et de Google » conclut Lionel Morel.

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Pour sortir de ce statu quo qui tue à petit feu la liberté et le travail des youtubeurs, des solutions existent. Certains essayent de « fausser » le robot en recoupant l’image ou en changeant la tonalité d’un morceau. Chose que MisterJDay préfère éviter : « Ce sont des méthodes que l’on n’utilise pas trop. Personnellement je préfère mettre le contenu tel quel, si jamais le robot repère la supercherie, je me dis que les sanctions pourraient être plus sévères. » Du côté des vraies voies de sorties, une durée limitée pourrait être décidée par les majors pour l’utilisation de leurs contenus, si cette option existe déjà au cas par cas, sa généralisation permettrait de déterminer rapidement qui sont les « pirates » et qui sont ceux qui se servent des extraits dans un but créatif.

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Ensuite, Youtube pourrait simplement ajouter une vérification humaine après le passage de son robot « Content ID », ce qui permettrait également de discerner le tout. Enfin, il faudrait voir du côté de la législation pour instaurer une véritable loi à ce sujet : Julia Reda, eurodéputée élue du parti pirate allemand, a d’ailleurs présenté un rapport proposant une liste de mesures pour harmoniser certains aspects du droit d’auteur. Soutenue en France par La Quadrature du Net et certains youtubeurs.