L’Arabie saoudite lève le voile sur ses trésors
Archéologie•Vitrine touristique d’un pays en pleine mutation, la vallée d’AlUla concentre huit mille ans de vestiges historiques, que la France participe à valoriserJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
Premier siècle avant notre ère : l’encens s’échange contre son poids en or dans les souks d’Orient. Une caravane chargée de la précieuse résine aromatique fait halte dans l’oasis d’AlUla. Alors que le crépuscule embrase les falaises de grès, les chameliers reposés quittent la palmeraie pour se recueillir devant des prières gravées sur la roche. Ces voyageurs ont en effet besoin de faveurs célestes. La route qui les conduit des hauts plateaux du Yémen aux ports de Méditerranée est encore longue à travers le massif brûlant du Hedjaz, au nord-ouest de l’Arabie…
Ville de caravansérails, mais aussi de pèlerinages, AlUla conserve le souvenir de toutes les civilisations antiques qui ont occupé la région. Au total, dix types d’écritures ont été identifiés sur les parois vertigineuses qui ceinturent sa vallée. Occupée en permanence depuis les temps néolithiques, cet oasis est un véritable musée à ciel ouvert ! D’un côté de la ville moderne, le canyon sacré du Jabal Ikmah déploie des inscriptions sacrées à perte de vue. De l’autre, la nécropole de Dadan protège des tombeaux, creusés dans la falaise rouge entre les VIIIe et Ve siècles avant notre ère.
Quatre siècles après les Dadanites, les Nabatéens rayonnèrent à leur tour sur cette partie du Hedjaz. À une trentaine de kilomètres au nord d’AlUla, Hégra est la cousine saoudienne de la célèbre Pétra. Comme dans la cité de Jordanie, on retrouve ici un étroit défilé appelé siq ainsi qu’un ingénieux réseau de citernes et de puits. Remarquable pour sa gestion de l’eau, la civilisation nabatéenne se distingue surtout par ses tombeaux aux façades monumentales, taillées dans le roc.
À Hégra, quelque cent dix sépultures ont été répertoriées. Le site, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, a échappé aux dégradations grâce à un tabou religieux qui en a longtemps éloigné les curieux. Sa conservation au fil des siècles a également été favorisée par un climat très sec. Neuf mois étaient nécessaires pour tailler la façade d’un tombeau. En mélangeant des éléments de styles mésopotamiens, égyptiens, gréco-romains et arabes, cette architecture funéraire livre de précieux indices sur les échanges culturels qui ont animé la région, avant l’avènement de l’Islam.
Une terre d’opportunités
Les religieux wahhabites, qui ont imposé en Arabie saoudite une lecture rigoriste du Coran, renient tout passé préislamique. Mais avec l’ascension du prince héritier Mohammed Ben Salmane, les autorités éclairées s’efforcent de briser les tabous, affaiblissant ainsi les discours ultra conservateurs. Depuis septembre 2019 et la délivrance des premiers visas touristiques, les mœurs évoluent à vue d’œil dans le royaume. Les voyageuses étrangères sont invitées à visiter le pays cheveux au vent. Et cette libération du voile s’applique aussi aux Saoudiennes (du moins en théorie), qui peuvent désormais étudier, conduire, travailler, voyager, vivre seule ou encore se présenter aux élections locales.
Ces changements profonds correspondent aux aspirations d’une jeunesse dynamique et ouverte sur le monde grâce aux réseaux sociaux. Aujourd’hui, chaque ville possède son cinéma et la musique occidentale jouée dans les cafés déborde dans les rues. Dans les restaurants chics d’AlUla, les locaux se mêlent volontiers aux visiteurs de toutes confessions qu’ils n’hésitent pas à remercier pour leur curiosité.
Soucieux de diversifier une économie encore très dépendante du pétrole, le prince Ben Salmane mise sur un plan « Vision 2030 » dont le tourisme est un des axes principaux. Dans ce cadre, AlUla devient la vitrine culturelle du pays. Encouragés par cette politique et fiers de leur patrimoine, de nombreux Saoudiens convergent vers cet oasis de 64.000 habitants, qui n’en comptait que la moitié il y a à peine dix ans. Les jeunes partis étudier à l’étranger reviennent pour travailler au contact des visiteurs, se reconvertir en « raconteurs d’histoires », version locale des guides touristiques, ou se lancer dans l’accompagnement haut de gamme.
Le tourisme de masse n’est cependant pas l’objectif. Pour éviter les erreurs de la Jordanie, qui a livré Pétra aux hordes de croisiéristes en escale à Aqaba, l’Arabie saoudite ne se précipite pas et s’entoure de spécialistes. Le développement économique de la région et la valorisation de son patrimoine historique et naturel ont été confiés à une Commission royale pour AlUla (RCU), qui a choisi la France comme principal partenaire pour son expertise en matière d’archéologie et de tourisme.
Le nouvel Eldorado de l’archéologie
La première mission de fouilles franco-saoudienne remonte à 2002. La confiance nouée à cette occasion a posé les bases d’une collaboration plus étroite. Résultat d’un accord signé à Paris en 2018, l’Agence française pour le développement d’AlUla (AFALULA) accompagne la RCU dans les domaines de la culture, de l’architecture, de l’hôtellerie, de la sécurité, de l’eau, de l’agriculture et de la botanique. Cette entité intergouvernementale présidée par l’ancien patron d’Engie, Gérard Mestrallet, œuvre déjà à la création d’espaces verts, de musées, de sentiers, de pistes cyclables et de complexes touristiques, audacieux et durables.
Dans le domaine architectural, le projet le plus remarquable est sans aucun doute celui de Jean Nouvel. Très estimé en Orient depuis la conception du musée national du Qatar et du Louvre Abu Dhabi, le célèbre architecte français s’est inspiré des tombeaux nabatéens d’Hégra pour proposer un établissement de luxe taillé dans le roc et donc parfaitement intégré au paysage.
Avec son million de palmiers dattiers et ses jardins luxuriants, l’oasis est la véritable richesse d’AlUla. À partir du XIIe siècle, les communautés de la vallée se sont rassemblées à sa proximité dans des maisons de pierres et de terre crue. Au fil des siècles, neuf cents unités d’habitation se sont ainsi agglomérées. Mais pour des raisons d’hygiène et de commodité, elles ont toutes été abandonnées en 1982, au profit de nouveaux quartiers bétonnés. Sans entretien depuis quarante années, cette Vieille Ville est désormais un champ de ruines.
Mandatée par AFALULA, en lien étroit avec la RCU, la société Archaïos fait intervenir, depuis avril 2021, des anthropologues, des géologues et des architectes pour comprendre la dynamique de la Vieille Ville et son adaptation à l’environnement. L’historienne Claire Pinault se réjouit de l’ampleur du travail et des moyens mis en œuvre à travers la région. « L’année dernière, la vallée comptait la plus grande concentration d’archéologues au monde ! » En s’ouvrant ainsi aux chercheurs et aux visiteurs internationaux, AlUla contribue à redorer l’image du régime. La culture bédouine reste, en effet, au cœur de l’identité saoudienne. Ici, on pratique l’hospitalité depuis la nuit des temps. Et comme à l’époque des caravanes, les voyageurs sont toujours accueillis dans des volutes d’encens.
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