Tetiaroa : un établissement de luxe en symbiose avec l’environnement
Polynésie•À jamais associé au nom de Marlon Brando, l’atoll de Tetiaroa est devenu un modèle de développement durable grâce au projet visionnaire de l’acteurJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
Les embruns chauds et sucrés des îles polynésiennes ont toujours encouragé les désertions. En 1789, lors du procès du Bounty, le capitaine William Bligh décrivit la révolte qui éclata à bord de son navire comme une réaction incontrôlable de l’équipage face à la beauté enchanteresse de Tahiti.
Le récit de cette mutinerie légendaire a inspiré le cinéma à de nombreuses reprises. Dans l’adaptation de 1962, l’acteur Marlon Brando incarnait Fletcher Christian, le meneur des Révoltés du Bounty. Le tournage fut épique. Et à l’image de son personnage, la superstar hollywoodienne succomba aux charmes de la Polynésie française…
Après avoir épousé Tarita, sa partenaire à l’écran, Brando s’offrit l’atoll de Tetiaroa dont il était aussi tombé amoureux. Il y vécut en Robinson entre 1970 et 1990, accueillant ses amis dans des bungalows de fortune. « Mon esprit est en paix lorsque la nuit, je m’imagine sur mon île des mers du Sud. Je souhaite que Tetiaroa reste à jamais un endroit qui rappelle aux Tahitiens qui ils sont et qui ils étaient. »
Le désir de préserver son paradis tout en le partageant lui donna l’idée d’un écolodge qui s’intégrerait parfaitement à la nature. En 2004, l’acteur mourut loin de son atoll. Mais grâce au promoteur américain Richard Bailey, son projet visionnaire vit le jour dix ans plus tard sous l’appellation The Brando.
À une cinquantaine de kilomètres au nord de Tahiti, Tetiaroa est le bout du bout du monde. Perdu dans l’immensité du Pacifique Sud, aux confins de l’archipel de la Société, cet atoll baigné de lumière est couronné de milliers de cocotiers fébriles qui oscillent en douceur sous les alizés. Son lagon cristallin, encerclé par douze îlots de sable immaculé (motu) est totalement fermé. Déclinant une palette infinie de bleus, ses plages sont parmi les plus belles de Polynésie.
La reine Pomaré IV de Tahiti avait ses habitudes ici. Le lagon était en effet un refuge où elle venait prendre ses bains. Pour les grands chefs polynésiens, Tetiaroa a toujours été un lieu sacré. Quatorze autels de pierres appelés marae témoignent encore de ce passé spirituel.
Aujourd’hui, l’atoll est avant tout le royaume des oiseaux marins. Fous bruns, fous à pieds rouges, sternes à bec noir et à bec jaune, noddis et grandes frégates se comptent par milliers sur des motu sanctuarisés, que seuls les heureux clients de l’hôtel The Brando et quelques biologistes ont la chance de fouler.
Hormis le nom de l’établissement, aucune référence fétichiste à l’acteur ne parasite le décor. Cette subtile alchimie entre discrétion, nature et luxe fait du Brando l’hôtel le plus fantasmé du Pacifique. Des célébrités sensibles à l’écologie, comme Leonardo DiCaprio ou Barak Obama, y ont séjourné. Mais les chances d’y croiser un visage aussi connu sont minces. Car chacun, ici, profite de sa bulle.
Les trente-cinq villas ultra-équipées de l’éco-domaine sont conçues avec sobriété pour mettre en valeur l’île et donner à leurs hôtes l’impression d’être seuls au monde. Dissimulées sous les palmiers et les pandanus, elles possèdent toutes leur piscine, leur plage privée et leurs bicyclettes pour rejoindre les installations du complexe ou se promener en silence à travers le motu Onetahi. Sur les chemins ombragés, des stations d’eau permettent de remplir sa gourde pour éviter l’usage du plastique.
Un laboratoire grandeur nature
Fidèle à la vision de Marlon Brando, l’établissement associe donc un confort absolu au respect scrupuleux de l’environnement. Cette démarche unique au monde lui permet d’afficher une empreinte carbone quasiment nulle. En Polynésie, la climatisation représente 60% de la consommation énergétique des hôtels. The Brando a donc investit 12 millions de dollars pour se doter d’un système révolutionnaire appelé Sea Water Air Conditionning.
En captant à 933 mètres de profondeur une eau à 5 degrés, le SWAC refroidit villas et installations sans coût ni pollution. Ainsi réduits, ses besoins énergétiques sont entièrement couverts par 5.000 panneaux solaires, deux batteries et des générateurs hybrides.
L’autosuffisance est presque atteinte grâce à la désalinisation et à la filtration de l’eau douce, abondante sur les motu. Un potager expérimental fournit déjà 10% de la carte des restaurants et 70 ruches produisent un miel d’exception au parfum de vanille. Quant aux déchets, ils sont traités par une station d’épuration, un composteur inodore et un centre de tri équipé notamment d’un broyeur de verre.
Entre un massage au spa Varua Te Ora et un cocktail en bord de lagon, les invités du Brando peuvent partir à la découverte de cet atoll paradisiaque lors de sorties guidées par les biologistes de la Tetiaroa Society. Les plus courageux peuvent même se faire réveiller à cinq heures du matin pour assister au lâcher des tortues vertes écloses pendant la nuit.
Créée en 2010 pour protéger Tetiaroa, l’association à but non-lucratif a pour mission de nourrir la curiosité des visiteurs tout en faisant avancer la science. Ses actions s’articulent autour de la conservation, de la recherche et de l’éducation.
Ce dernier volet est particulièrement important aux yeux de Tihoni Maire qui organise les sorties pédagogiques. « Pour les jeunes Polynésiens, Tetiaroa est la plus belle des salles classes. » Les groupes scolaires, qui passent ici des périodes de cinq jours au contact de la nature, y retrouvent leurs racines spirituelles. Les scientifiques, quant à eux, sont soutenus par l’association pour étudier l’écologie des récifs et l’acidification des océans.
En luttant contre certaines espèces invasives, animales et végétales, la Tetiaroa Society est parvenue à restaurer l’équilibre naturel de l’atoll. L’éradication des rats grâce à un poison ciblé a non seulement permis le retour d’oiseaux, comme le loriquet à tête bleue, mais aussi celui des crabes de cocotiers qui ont joué un rôle inattendu de fossoyeurs pour les dépouilles des rongeurs.
« Les résultats obtenus ici profiteront au monde entier » se félicite Tihoni. La prolifération des moustiques représente en effet une nuisance sanitaire que l’atoll est parvenu à supprimer en lâchant des milliers de mâles porteurs d’une bactérie stérilisante. Contrairement aux insecticides, cette approche biologique est sans risque pour l’environnement. Tetiaroa est ainsi devenu le seul endroit de Polynésie où l’on peut se pavaner à toute heure, dans le plus simple appareil, sans craindre de se faire piquer. Marlon Brando voulait faire de son île le plus bel endroit sur terre. Ses successeurs ont réalisé son rêve.