Île Maurice : derrière les plages de carte postale, une nature fragile à protéger d’urgence
Écotourisme•La douceur exotique de Maurice invite à l’innocence. Mais les dangers qui pèsent sur sa biodiversité réveillent les consciences. Des groupes hôteliers écoresponsables commencent à s’impliquerJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
Des lagons turquoise ourlés de sable blanc, des cocotiers déliés oscillant sous la brise, des filaos, flamboyants et frangipaniers dressés vers l’azur… Tout, sur Maurice, relève du fantasme tropical. Cette petite île des Mascareignes a toujours été une muse généreuse pour les poètes de passage. En 1841, Charles Baudelaire y débarquait après deux mois de traversée. Son Invitation au voyage reste le plus bel hommage à l’ancienne Isle de France. « Là, tout n’est qu’ordre et beauté. Luxe, calme et volupté. » Aujourd’hui, on n’arrive plus à Maurice en paquebot. Qu’importe ! Lorsque l’avion effectue son approche au-dessus du lagon, c’est toujours le même choc esthétique.
Née d’un volcan il y a huit millions d’années au cœur de l’océan Indien, l’île Maurice n’a été colonisée par la flore et la faune que très lentement, au hasard des courants marins et aériens. Des espèces singulières ont ensuite évolué dans ces confins du bout du monde, comme le dodo, cet oiseau dodu, incapable de voler et nichant à même le sol. Mais dès leur arrivée dans cet éden de nature improbable, les hommes en ont usé et abusé, bouleversant sa biodiversité. Les Hollandais, installés au début du XVIIe siècle pour exploiter le bois d’ébène, firent du dodo leur mets favori. Un siècle plus tard, quand les Français prirent possession de l’île pour y planter la canne à sucre, il n’en restait plus une trace.
La forêt endémique de Maurice ne couvre désormais plus que 2% de sa superficie. Et la liste des espèces menacées s’allonge chaque année. Le pigeon des mares est ainsi en danger critique d’extinction, tout comme la perruche cateau verte ou le faucon tacheté. Oiseaux, insectes, mollusques, plantes : aucun groupe biologique n’est épargné. Alertées par la catastrophe, des organisations et associations locales se mobilisent pour sauver ce qui peut encore l’être. Sur les reliefs du Sud, Ebony Forest s’emploie ainsi à restaurer la végétation endémique, en luttant contre les plantes exotiques et invasives. Un travail acharné qui a permis de sauver sept espèces de bois d’ébène sur les douze originelles.
Vers un tourisme à impact positif
À l’instar des ONG qui œuvrent en forêt, des groupes hôteliers se lancent à leur tour dans la défense du patrimoine naturel. Commercialisée par Exotismes, le voyagiste leader sur l’île Maurice, la chaîne locale Attitude est pionnière en la matière. Sa démarche écoresponsable, baptisée « Positive Impact », est symbolisée par des mesures fortes, comme l’abandon total du plastique à usage unique. Dans les huit adresses du groupe, les clés magnétiques des chambres sont en bambou et les bouteilles d’eau ont laissé place à des gourdes consignées que l’on remplit soi-même à des fontaines. Dans le même esprit de durabilité, les clients sont invités à remplir eux-mêmes leurs bocaux de café local dans une boutique de vrac.
Avant-gardiste pour ses mesures environnementales, la chaîne Attitude est également engagée dans la valorisation sociale et culturelle de l’île. Son personnel entièrement mauricien, ses salons de thés locaux, ses restaurants signatures Kot Nou et ses roulottes « tabagies » aux saveurs traditionnelles lui ont permis d’obtenir le label « Made in Moris » jusqu’alors réservé aux producteurs et artisans. Pour sortir des sentiers battus et s’immerger dans l’intimité mauricienne, le groupe a aussi développé des expériences « Otentik » autour de la cuisine, de la musique et du partage. Au Sunrise Attitude de Belle Mare, on pousse le concept encore plus loin en supprimant la télévision des chambres !
Les activités balnéaires ne sont pas en reste. Sous les eaux calmes du lagon, des jardins de coraux abritent le baliste-Picasso, le perroquet brûlé, la demoiselle saphir, l’ange royal et d’innombrables autres poissons aux couleurs extravagantes. Pour protéger ce paradis sous-marin, une crème solaire non-polluante est distribuée gratuitement sur les plages du groupe.
Au Lagoon Attitude d’Anse la Raie, le Marine Discovery Center, qui collabore à des projets de sauvegarde des tortues, s’emploie à sensibiliser les visiteurs étrangers, mais aussi les jeunes Mauriciens et les pêcheurs. À quelques brasses de l’hôtel, une zone de conservation du lagon fait l’émerveillement des baigneurs qui sont invités à partager leurs photos sous-marines pour enrichir la base de données du centre. Au gré de leurs plongées, les plus motivés peuvent également participer à la collecte des détritus. Une belle façon de donner du sens aux vacances.