Singapour rêve de devenir la ville la plus durable du monde
Innovation•Véritable tour de Babel aux quatre langues officielles, la « ville du Lion » évoque aussi les jardins suspendus de l’Antiquité en replaçant la nature au cœur de son architectureJean-Claude Urbain
Singapour est née d’un rêve. Au début du XIVe siècle, surpris par une violente tempête, le prince Sang Nila Utama accosta sur une île, au sud de la péninsule de Malaisie. Persuadé d’y avoir vu un lion, (singha en ancien malais), il décida d’y bâtir une ville (pura). Le fauve imaginaire ne réapparut jamais. Mais était-ce bien un lion ? N’était-ce pas plutôt le Merlion ? Cet animal fantastique à tête de lion et à queue de sirène (mermaid en anglais) est en effet devenu l’emblème de Singapour. Sept siècles après la légende, le pays relève toujours de l’utopie.
Sous la protection de sa chimère, cette cité-État du Sud-est asiatique est un melting-pot de cultures, dont l’anglais, le mandarin, le malais et le tamoul sont les quatre langues officielles. Imposant une mixité ethnique, confessionnelle et générationnelle, les complexes d’habitations et de services HDB illustrent parfaitement ce « vivre ensemble » à la singapourienne.
La « ville du Lion » s’est développée de manière fulgurante. Sa concentration de gratte-ciel ultramodernes concurrence déjà Manhattan, et les projets n’en finissent plus. Marina Bay est l’exemple le plus frappant de cette expansion frénétique. Il y a une trentaine d’années, les jonques pouvaient encore débarquer leurs marchandises au cœur de la ville. Mais l’extension des polders a fini par transformer la baie en lac, et les impressionnantes tours de l’hôtel Sands obstruent désormais l’horizon du Merlion.
La nature à tous les étages
Heureusement, il reste de nombreux espaces verts à Singapour, comme les verdoyantes Southern Ridges ou les Botanic Gardens et leur flamboyante collection d’orchidées. La nature est d’ailleurs au cœur des préoccupations de la cité. Derrière le fameux Marina Bay Sands, les Gardens by the Bay réunissent sous deux dômes monumentaux une reconstitution de forêt pluvieuse d’altitude et une reproduction d’écosystème subtropical sec. Entre ces deux « biomes », les étonnants Supertrees sont des structures géantes végétalisées qui s’illuminent chaque soir le temps d’un show musical. Autonomes en eau et en électricité, ce sont en fait des laboratoires pour les solutions énergétiques de demain.
Limitée par sa superficie, Singapour importait jusqu’à ces dernières années 90 % de ses besoins alimentaires. Par souci d’autonomie, de biosécurité et de durabilité, elle ambitionne d’en produire 30 % à l’horizon 2030. « Pas de paysans, pas de nourriture » résume Kenny Eng, qui gère la plus ancienne exploitation familiale du pays. Pionnière en matière d’optimisation des terres agricoles, la ferme verticale Sky Greens a montré comment multiplier par huit le rendement d’une surface cultivée.
Encouragées par l’autorité de redéveloppement urbain URA, les initiatives écoresponsables fleurissent aussi en pleine ville. Et la multiplication de jardins suspendus donne déjà à Singapour des airs de nouvelle Babylone. Avec plus de 260 fermes de toit et 30.000 personnes impliquées, Edible Garden City compte parmi les moteurs de cette néo-paysannerie urbaine.
Aujourd’hui, on ne se contente plus de réaffecter des espaces disponibles. On introduit la dimension végétale dès la conception des buildings dans une stratégie d’interactions. Les jardins verticaux profitent en effet à l’isolation des bâtiments et au recyclage des eaux usées. Mieux : en attirant oiseaux et insectes, ils réintroduisent la biodiversité dans les rues.
Couleurs et saveurs
Lorsque le prince crut y apercevoir un lion, Singapour n’était que forêt dense. Toujours peuplée de varans, de crocodiles, de cobras et de 400 espèces d’oiseaux, la réserve marécageuse de Sungei Buloh a gardé sa luxuriance primitive. La partie urbanisée de l’île est, quant à elle, une jungle d’un autre genre. Attirée par les enseignes d’Orchard Road, sa population cosmopolite se presse dans d’immenses malls pour s’adonner au sport national : le shopping.
Si certains visiteurs sont bien là pour faire une razzia de produits détaxés, d’autres n’arpentent les galeries marchandes que pour profiter de l’air climatisé. Car on transpire beaucoup dans les rues chaudes et humides de cette cité posée sur l’équateur. Son climat accablant, qui pourrait inciter à la désinvolture sous d’autres latitudes, n’entame en rien le civisme des Singapouriens. Leur ville est d’une propreté stupéfiante. Elle n’en est pas pour autant aseptisée ! Il suffit de se promener dans ses quartiers ethniques pour apprécier sa vitalité.
La balade commence par Chinatown et ses marchés pittoresques. Autour des étals trempés du Wet Market, les échoppes d’astrologie, de colifichets et de potions traditionnelles connaissent, paraît-il, les secrets de la longévité, de la prospérité et de la virilité. Après avoir fait le plein de souvenirs sous les lanternes de ce dédale bariolé, direction Kampong Glam. Dans ce quartier arabe se cache Haji Lane, la rue la plus étroite de la ville, la plus branchée aussi, avec ses cafés bohèmes et ses de galeries d’artistes.
À seulement une station de MRT, l’impeccable métro local, Little India concentre la population la plus attachée à ses traditions. Les odeurs d’épices et le parfum du jasmin embaument l’atmosphère de son hawker centre. On trouve dans ce type de complexe culinaire bon marché de quoi organiser de vrais festins. Car s’il y a une chose que les Singapouriens aiment faire hormis du lèche-vitrines, c’est manger, et ce, quelle que soit l’heure de la journée ! Le Merlion, en effet, ne dort jamais, et il a toujours faim.