Barcelone : notre itinéraire à la découverte de l’architecture moderniste
Catalogne•Comme dans un musée à ciel ouvert, on déambule à Barcelone le nez en l’air. Au fil de la balade, les chefs-d’œuvre du modernisme se succèdent avec, en point de mire, la délirante Sagrada FamiliaJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
Avec son ambiance de perpétuelles vacances, Barcelone est une des destinations préférées des Français. Les liens qui unissent la métropole catalane à notre pays ne se résument cependant pas à l’hédonisme ensoleillé. Bien avant de devenir un pôle touristique, Barcelone fut un creuset de créativité. Et son épanouissement artistique fut largement influencé par le Paris de la Belle époque. C’est en effet dans la capitale française, au contact de ses écrivains et poètes, que les peintres Pablo Picasso et Joan Miró prirent le virage révolutionnaire du surréalisme. C’est aussi à Paris, lors de l’Exposition universelle de 1878, qu’Eusebi Güell fut interpellé par les propositions techniques et esthétiques de son concitoyen Antoni Gaudí. De retour à Barcelone, le riche industriel et le jeune architecte se rencontrèrent, devinrent amis et démarrèrent une série de collaborations qui allait transformer le visage de la ville.
Miró fréquentait déjà Gaudí avant son départ pour Paris. Picasso, en revanche, ne le tenait pas en grande estime. Le peintre était alors loin d’imaginer que les réalisations de l’architecte deviendraient les icônes de Barcelone ! Basée sur l’observation de la nature et empreinte de spiritualité chrétienne, l’œuvre visionnaire de Gaudí s’insère dans un mouvement culturel qu’on appelle modernisme de ce côté des Pyrénées, et Art nouveau côté français. En matière d’architecture, ce courant se caractérise par une conception globale des immeubles, de leur structure et aspects fonctionnels jusqu’à leur décoration.
À Barcelone, les édifices imaginés ainsi dans leurs moindres détails par Gaudí et ses pairs sont innombrables. Mais de l’obscur Barri Xino aux collines de Sant Gervasi en passant par les larges artères bourgeoises de l’Eixample, la balade à la découverte du génie moderniste peut se concentrer sur neuf sites emblématiques, dont huit sont classés au Patrimoine mondial de l’Unesco. Un record pour une ville !
Le Palau Güell, première merveille « gaudienne »
En 1886, Güell avait déjà toute confiance en Gaudí lorsqu’il lui offrit un budget illimité pour édifier son palais dans le Barri Xino, près de la Rambla. La façade austère qui fut privilégiée pour s’intégrer dans ce quartier populaire tranche avec les fastes néogothiques et arabisants des salles de réception. À l’intérieur, l’architecte dut composer avec un cahier des charges, contrairement au toit, où il put exprimer sa créativité. Dix-huit cheminées aux formes extravagantes introduisent ici la technique du trencadis, qui préfigure le recyclage en combinant des chutes de carreaux sous forme de mosaïques.
La Pedrera, une folie structurelle
Axe principal du quartier de l’Eixample, le très cossu Passeig de Gràcia devint, au début du XXe siècle, un lieu d’innovations architecturales, et donc, de surenchères modernistes. À deux blocs du prestigieux hôtel Majestic, où Miró avait ses habitudes, la Pedrera étonne par les sinuosités minérales de sa façade autoportée, qui condense toute l’audace de Gaudí. Inspirée par la nature, « qui ne crée rien de superflu », cette architecture organique se veut au service de la fonction. Achevée en 1912, la Pedrera, que l’on appelle aussi Casa Milà, fut l’ultime construction civile de Gaudí, avant qu’il se consacre entièrement à la Sagrada Familia.
La Casa Batlló, Gaudí au sommet de son art
C’est également sur le Passeig de Gràcia que se situe le célèbre bloc surnommé Manzana de la Discórdia. Ce jeu de mots intraduisible évoque la variété des sensibilités à l’intérieur même du modernisme catalan. On peut s’en rendre compte devant les très différentes Casa Lleó Morera signée Lluís Domènech i Montaner, Casa Amatller dessinée par Josep Puig i Cadafalch et Casa Batlló conçue par Gaudí. La façade de cette dernière a fait couler beaucoup d’encre. Aucune ligne droite ne vient en effet rompre l’ondulation infinie des lignes. Inspirée par le monde aquatique, cette maison, qui captivait le surréaliste Salvador Dalí, est considérée comme la plus aboutie de Gaudí.
Un écrin moderniste dédié à la musique
Contrairement à Gaudí, l’architecte Lluís Domènech i Montaner a essentiellement travaillé sur des édifices à vocation publique. Bâti entre 1905 et 1908, son Palais de la Musique catalane est une sorte de synthèse des délires architecturaux du modernisme. Dissimulé dans le lacis de rues médiévales de La Ribera, cet auditorium sublime une architecture de briques et d’acier grâce aux arts appliqués, comme la sculpture, le vitrail et la mosaïque. Pour apporter une lumière naturelle à cette salle de 2.000 places, le bâtiment a été coiffé d’une grande verrière polychrome, de laquelle pend une coupole inversée telle une goutte sur le point de tomber.
La Torre Bellesguard, loin des sentiers battus
Ne la cherchez pas dans les guides touristiques, mais plutôt sur un plan détaillé. La Torre Bellesguard est un secret bien caché, sur les hauteurs de Sarrià-Sant Gervasi. Commandée par la famille Figueras à Gaudí, elle est restée inachevée, comme beaucoup de ses projets. Ici, le créateur voulut rendre hommage au passé médiéval du lieu, où se situait la résidence de Martin Ier, dernier roi d’Aragon issu de la maison de Barcelone. Face à l’une des plus belles vues sur la ville, ce manoir insolite est un havre de tranquillité. Il ne reçoit qu’une trentaine de visiteurs par jour, lorsque la Sagrada Familia en accueille plusieurs dizaines de milliers.
La Casa Vincens, aux prémices de l’œuvre
De retour en centre-ville, les férus de modernisme peuvent depuis peu se précipiter dans le quartier de Gràcia pour admirer une des toutes premières réalisations de Gaudí. Construite entre 1883 et 1888, la Casa Vincens révèle une architecture où les lignes droites dominent encore les courbes, et où le naturalisme se combine à l’orientalisme dans une débauche de céramiques colorées. Le jeune Gaudí s’autorisa tout de même quelques innovations structurelles, comme des tourelles d’angle en saillie qui provoquèrent le scepticisme du maître-d’œuvre. Après leur achèvement, ce dernier resta sur le chantier, persuadé qu’elles s’effondreraient…
Le Park Güell, star des réseaux sociaux
L’orthographe du Park Güell s’explique par son inspiration anglo-saxonne. Güell, le principal mécène de Gaudí, avait découvert de l’autre côté de la Manche le concept urbanistique de cité-jardin, réunissant des espaces de vie autour de pavillons. Il confia à son ami la réalisation d’un tel projet sur les hauteurs de Barcelone. Mais faute de moyens, le chantier tourna court. Le site offre aujourd’hui une vue pittoresque sur la ville. Bordé de fontaines fantasmagoriques, un double escalier conduit vers une grande esplanade se terminant par une banquette sinueuse de trencadis, où les « instagrameuses » se disputent les meilleures places à coups de selfies.
Le plus vaste ensemble moderniste d’Europe
En fonction jusqu’en 2009, l’Hospital de Sant Pau fut conçu comme une véritable ville dans la ville, avec ses pavillons médicaux, ses couloirs souterrains et ses esplanades ouvertes au public. Cette fantaisie de briques et de faïences, dessinée en 1901 par Lluís Domènech i Montaner, fut largement financée par le banquier catalan Pau Gil i Serra, qui fit fortune à Paris. C’est entre ces murs que Gaudí décéda en 1926, après avoir été renversé par un tramway. Puis c’est dans la crypte de la Sagrada Familia qu’il fut inhumé. Depuis Sant Pau, l’agréable avenue Gaudí offre une vue imprenable sur le Temple et permet de rejoindre à pieds cette ultime étape du parcours.
Sagrada Familia, une authentique Bible de pierre
Elle est à Barcelone ce que la tour Eiffel est à Paris. Un étendard ! Toujours inachevée, la Sagrada Familia fut mis en chantier dès 1882. Guidé par un profond sentiment religieux tout au long de sa carrière, Gaudí consacra les quatorze dernières années de sa vie à ce chef-d’œuvre exalté, mais adapté aux besoins du culte. Comment ne pas rester subjugué devant la profusion de détails ornant la façade de la Nativité ? Classées par l’Unesco, cette façade ainsi que la crypte furent achevées par Gaudí en personne. Lorsqu’on lui demandait pourquoi il avait décoré le sommet de tours culminant à 125 mètres, le génial architecte répondait que les anges apprécieraient. On ne s’étonnera pas qu’il soit un jour béatifié.