Martinique : un voyage arrosé au cœur de la biodiversité
Caraïbes•Pour enivrer les voyageurs, « l’île aux fleurs » conjugue l’exubérance de sa végétation tropicale, présentée à l’Unesco, aux parfums de son rhum d’exceptionJean-Claude Urbain
Escortés par de facétieux colibris, les visiteurs du Parc naturel régional de la Martinique ne savent plus où donner de la tête. Autour d’eux, les couleurs et les formes végétales explosent en une multitude de nuances et de combinaisons enchanteresses ! Christophe Colomb fut le premier ambassadeur de ce pays de cocagne. Lorsqu’il découvrit l’île en 1502, le navigateur y reconnut « la plus charmante contrée qu’il y ait au monde. C’est la plus belle chose que j’ai jamais vue, aussi ne puis-je fatiguer mes yeux à contempler une telle verdure. » La Martinique s’appelait alors Madinina, « l’île aux fleurs » en langage amérindien. Et après cinq siècles d’histoire tumultueuse, cette collectivité territoriale française invite toujours à herboriser sous l’opulente canopée de sa forêt tropicale.
Au nord-est, la presqu’île de la Caravelle avance sa proue dans l’Atlantique. À 162 mètres au-dessus des flots, le phare vermillon qui la domine est le plus haut-perché de France. Le point de vue est donc idéal pour couvrir d’un regard la topographie de l’île. Comme ses voisines antillaises, la Martinique se partage en deux parties biogéographiques distinctes : l’ouest et le sud « sous le vent », baignés par la mer des Caraïbes, l’est et le nord « au vent », exposés aux assauts de l’océan, le tout subdivisé en autant d’écosystèmes que de microclimats...
Au pied du phare, le fouillis ténébreux de la mangrove côtière laisse ainsi place à une forêt sèche et clairsemée où trouvent refuge de nombreuses espèces d’oiseaux rares et protégés. Les pitons du Carbet, à l’ouest, et la montagne Pelée, au nord, dessinent quant à eux des paysages abrupts, autour desquels s’effiloche une éternelle écharpe de nuages. Pas un jour, ici, qui ne connaisse au moins une averse. Ces grains violents mais brefs, qu’une chaleur d’éternel été éponge rapidement, favorisent une profusion d’essences endémiques.
On accède à la forêt humide du Parc naturel en grimpant sur la route de la Trace qui se tortille jusqu’au Morne-Rouge et son Domaine d’Émeraude. Entre 500 et 900 mètres d’altitude, les fougères arborescentes s’entremêlent aux châtaigniers chargés de plantes épiphytes et aux acomats boucans d’où pendent d’énormes lianes torsadées. À l’ombre de ces géants, les orchidées, hibiscus, anthuriums, balisiers et autres héliconias rivalisent d’originalité pour attirer les insectes et l’attention des visiteurs. Yohann Pelisse, chargé de mission au Parc, souligne que cet univers à la fois végétal et volcanique compte « parmi les plus importants réservoirs de biodiversité de la planète ». Voilà pourquoi la France le présente, cette année, pour une inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco.
Un produit d’excellence, made in France
Au nord de Saint-Pierre, sur la côte Caraïbe, s’ouvre un domaine littoral qui contraste avec les reliefs touffus du Parc, mais aussi avec l’image traditionnelle des plages antillaises. Loin de tout, les anses de sable noir n’ont pas changé depuis Christophe Colomb. Les plus sauvages ne restent d’ailleurs accessibles que par la mer. Dissimulées derrière les cocotiers de l’anse Couleuvre, les ruines de l’habitation Céron racontent une autre histoire : celle de ces grandes unités de production sucrière qui participèrent, au prix d’immenses souffrances, à la prospérité de la Métropole. L’abolition de l’esclavage en 1848 sonna le déclin de cette économie. Mais c’est surtout la culture de la betterave en Europe qui porta un coup fatal au sucre antillais. Le salut des plantations martiniquaises vint alors du rhum, indispensable au moral des troupes durant la Première Guerre mondiale.
L’eau-de-vie obtenue par la distillation du jus de canne fermenté a, depuis, gagné ses lettres de noblesse. Le rhum agricole est la fierté des Antilles françaises. Distingué par une AOC en Martinique, il surclasse en arômes le rhum industriel des autres pays. L’île compte actuellement huit distilleries dont la visite permet de se familiariser avec ce produit d’exception. Lovée dans un écrin de verdure, la distillerie JM laisse ainsi ses visiteurs déambuler entre ses moulins de broyage et ses cuves de fermentation. Après une promenade parmi les œuvres d’art contemporain réunies par sa fondation, l’ habitation Clément propose, quant à elle, de découvrir sa maison de maître et ses vénérables chais où reposent ses rhums vieux. Mais c’est à l’ habitation du Simon que la noblesse du produit est poussée à son paroxysme. Le petit domaine, où tout se fait à la main, possède l’unique alambic en cuivre de l’île et se refuse à corrompre son rhum A1710 avec la moindre goutte d’eau. Même ses bouteilles sont lavées au rhum ! Une exigence couronnée cette année aux World Rum Awards par le titre de « Meilleur Rhum agricole ».
Les Martiniquais reconnaissent au breuvage toutes sortes de vertus. Un filet rallongé d’eau soigne les maux de tête et la fièvre. En compresse, en massage, il calme les douleurs. Il est si ancré dans la vie quotidienne que la verve populaire lui a donné toute une variété de sobriquets. À 6 heures du matin, c’est le rouvé zeux qui ouvre les yeux, à 6h30 le décollage, puis viennent l’entrain, le ti-coup, le sec, le feu, et ainsi de suite, jusqu’au fatidique pétépié qui fait trébucher. Puis il y a aussi le ti-punch, cette savante alliance du rhum blanc, du citron et du sirop de canne qu’il n’est pas donné à tout le monde de réussir, mais dont le cérémonial épicurien contient toute la saveur des Antilles. À consommer avec modération tout de même ! Car s’il peut souffler dans les crânes avec la douceur des alizés, cet élixir peut rapidement s’y déchaîner avec la fureur d’un ouragan.