Formentera invite ses visiteurs à renouer avec la lenteur
Écotourisme•La plus discrète des îles Baléares cultive un rythme de vie bohème, en harmonie avec son environnement. Un petit éden de nature virginale où la bicyclette reste le moyen de transport idéalJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
Les aventures extraordinaires du capitaine Servadac à travers le système solaire débutent au phare de La Mola, à l’extrémité orientale de Formentera. C’est sur ce promontoire, dressé face à l’azur, que le héros de Jules Verne découvre la trajectoire de la comète qui l’arrachera à la terre… À l’image d’Hector Servadac, qui reste un des ouvrages de science-fiction les moins connus du génial écrivain, Formentera demeure une destination confidentielle.
Des îles Pityuses, formant le groupe le plus à l’ouest des Baléares, les brochures touristiques se contentent souvent de vanter l’ambiance frénétique d’Ibiza. Pourtant, à moins d’une heure en ferry de cette turbulente voisine, Formentera offre un visage radicalement différent de l’archipel espagnol. Loin de toute agitation festive et miraculeusement épargnée par les constructions anarchiques, cette petite île ceinturée d’eaux limpides est un des havres les mieux préservés de Méditerranée.
Vers un tourisme durable
Plusieurs tombeaux mégalithiques attestent du peuplement très ancien de Formentera. Les Grecs, les Carthaginois, les Romains, les Byzantins et les Andalous y imposèrent tour à tour leur loi, jusqu’à son rattachement définitif à l’Espagne, au XIIIe siècle. Depuis, l’île coiffée de pinèdes odorantes vit en symbiose avec le soleil, la mer et le vent. Ces éléments y ont façonné un paysage typiquement méditerranéen que l’on découvre au gré de pistes bordées de murets en pierre sèche. Propre et silencieuse, la bicyclette est recommandée pour sillonner cette île plane en toute quiétude.
Des vélos électriques sont disponibles dès l’arrivée au port de La Savina. Les quelques routes goudronnées qui connectent de petits villages hors du temps sont doublées de voies cyclables. Mais une trentaine de « routes vertes » incitent rapidement à quitter le bitume pour se reconnecter à la nature. La municipalité de Formentera multiplie ainsi les mesures en faveur d’une mobilité écologique. L’usage des bornes de recharge pour les batteries des deux-roues électriques est gratuit. Et à partir de cette année, le nombre de voitures autorisées à circuler sur l’île est limité, entre le 24 juin et le 7 septembre.
Le poumon de la Méditerranée
Du turquoise à l’opale en passant par l’indigo, une palette de couleurs empruntée à des latitudes plus tropicales aimante les visiteurs vers le littoral. À proximité du port de La Savina, l’immense Ses Illetes est la plage la plus accessible, et donc la plus prisée d’un public bigarré, constitué de familles comme de naturistes. Il ne faut toutefois pas s’éloigner beaucoup pour se retrouver seul au monde. Quelques coups de pédale suffisent à rejoindre les plages immaculées de Migjorn ou à dénicher des criques secrètes.
Les eaux cristallines de Formentera offrent jusqu’à cinquante mètres de visibilité aux adeptes de plongée. Cette clarté exceptionnelle est liée au plus vaste herbier de posidonies de Méditerranée. En effet, cette immense prairie sous-marine, qui s’épanouit entre les îles Pityuses sur 700 km², agit comme un filtre naturel. Elle sert aussi de nurserie et d’abri à une faune marine par ailleurs menacée. Et quand on sait qu’un hectare de posidonie produit cinq fois plus d’oxygène qu’un hectare de forêt amazonienne, on comprend pourquoi l’Unesco a classé cette zone au Patrimoine mondial.
Un fragile équilibre
À la surface, le Parc naturel de Ses Salines est le domaine privilégié des oiseaux. Estany Pudent et Estany des Peix, les deux grands étangs de Formentera, voient passer quelque 200 espèces en cours d’année. Étonnamment, le chiffre tend à diminuer. Le naturaliste Jordi Serapio explique que les salines constituent l’un des très rares écosystèmes où l’activité humaine favorise la biodiversité. « Depuis que l’exploitation du sel a été abandonnée sur l’île, certaines espèces migratrices ne s’y arrêtent plus. Heureusement, un projet de réhabilitation de la production est à l’étude. »
Après ces observations ornithologiques, des chemins de traverse baignés de soleil invitent à prolonger la flânerie vers de vénérables moulins et d’antiques tours de défense. Les deux phares de Formentera sont les seules constructions dépassant la cime des arbres. Celui de La Mola trône sur les falaises de l’est, à côté d’une plaque en hommage à Jules Verne, tandis que le phare de Barbaria conclut de façon spectaculaire une longue chaussée rectiligne pointant vers le sud dans un décor quasi lunaire. Aux pieds de ce dernier, la caverne Foradada conduit vers une fenêtre suspendue à cent mètres au-dessus de la mer. Une légende raconte que la cavité aurait la faculté d’exaucer les vœux. Avant de quitter cette île de rêve, les amateurs de silence émettront le souhait d’y revenir bientôt. Les plus aventureux s’imagineront sans doute s’envoler vers les étoiles avec le capitaine Servadac.