Malte, Gozo, Comino : notre itinéraire sur les traces des chevaliers de l'Ordre
Méditerranée•Ancrée entre la Sicile et la Tunisie, Malte a toujours suscité les convoitises. Derrière leurs fortifications de calcaire blond, les chevaliers chrétiens ont défendu avec panache leur foi et leur fabuleux patrimoineJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
Malte et ses deux satellites, Gozo et Comino, sont des confettis de roches dénudées sur lesquels l’Homme s’obstine à vivre depuis des temps immémoriaux. Verrou stratégique de la Méditerranée, ces « minuscules cailloux magiques », chers à Winston Churchill, sont tombés sous le joug successif des Phéniciens, des Carthaginois, des Romains, des Arabes, des Français et des Anglais. Cependant, le nom du petit archipel reste avant tout lié aux exploits militaires et aux chefs-d’œuvre architecturaux de ses chevaliers chrétiens.
L’épopée de l’ordre de Malte commence en Terre Sainte, dès le début du XIIe siècle, avec la création d’un hospice dédié aux soins des Croisés et des pèlerins. Les frères « hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem » ne se constituent en ordre militaire que pour répondre aux agressions musulmanes. Mais les Croisades tournent court. Chassés de Jérusalem par Saladin, les soldats du Christ se replient sur Acre, puis à Chypre, et enfin à Rhodes.
Ils demeurent deux cents ans sur l’île grecque, s’illustrant dans leur triple vœu de chasteté, d’obéissance et de pauvreté, jusqu’à un nouveau revers. La chute de Rhodes, en 1523, offre la Méditerranée orientale à la flotte ottomane. Et, après sept années d’errance, les chevaliers hospitaliers trouvent asile auprès de l’empereur Charles Quint, qui leur offre Malte. Rêvant d’abord de retrouver Rhodes, l’ordre finit par s’adapter à son nouveau fief, dont il adopte le nom, et sur lequel il va régner dans le faste durant deux siècles et demi.
Imprenables murailles
C’est à La Valette, à l’ombre de la co-cathédrale Saint-Jean, que l’on se fait happer par l’histoire des chevaliers de Malte. La capitale de l’archipel est, en effet, enracinée dans la forteresse invulnérable voulue par le Grand Maître Jean de La Valette, après sa victoire décisive contre les Ottomans, en 1565. Pas une ruelle, pas une maison, pas une porte qui ne rappelle cette glorieuse époque.
Représentées par les huit pointes de la croix de Malte, l’Allemagne, l’Aragon, l’Angleterre, l’Auvergne, la Castille, la France, l’Italie et la Provence rivalisaient de prestige au sein de l’ordre. En ville, chacune de ces huit entités féodales s’efforçait d’avoir la plus belle des auberges. Et dans la co-cathédrale, la plus belle des chapelles. Chaque Grand Maître de l’ordre se devait ainsi d’apporter sa touche à l’édifice. Il en résulte une profusion d’or et d’œuvres d’art, que l’on admire en foulant les pierres tombales polychromes de quatre cents chevaliers.
Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, La Valette n’a finalement succombé qu’à une seule invasion, celle de l’automobile. Une fois passées les portes de la ville, mieux vaut donc être piéton pour grimper à l’assaut de son relief quadrillé d’artères très animées.
Dans le tumulte des tavernes, les démonstrations de joie fusent dans un maltais aux sonorités arabes et italiennes. Cette langue sémitique est la seule qui s’écrive en caractères latins. Mais elle n’en reste pas moins énigmatique. Heureusement pour les voyageurs, l’anglais est la seconde langue officielle du pays. Les Britanniques n’ont quitté les lieux qu’en 1964, après 150 ans de présence. Dans les rues descendant en escaliers vers les murailles, les bow windows des façades et quelques cabines téléphoniques rouges témoignent encore de ce temps révolu.
Naufrages de légende
Il existerait sur Malte une église pour chaque jour de l’année. Égayant une campagne monotone, ces édifices dressent vers le ciel leurs dômes surdimensionnés comme autant de boucliers contre l’ancien rival musulman. Dans tout l’archipel, la vie est aujourd’hui encore rythmée par le calendrier religieux.
La ferveur catholique des Maltais les encourage à fêter en fanfare, et à grand renfort de spectacles pyrotechniques, tous les saints de l’Église, de juin à septembre. Un saint se distingue toutefois par son importance. Vers l’an 60, au cours de son transfert de Judée vers Rome, où il doit être jugé, l’apôtre Paul de Tarse fit naufrage sur l’île de Gozo. La marque laissée ici par l’évangéliste est indélébile. Pas une cérémonie, profane ou sacrée, sans qu’il soit honoré !
Cette profonde dévotion s’ancre dans une tradition millénaire. De 4000 à 2000 avant notre ère, l’archipel se couvrait déjà de temples mégalithiques, dédiés à une déesse de la fertilité, ancêtre de la belle Calypso. Cette dernière est une autre figure légendaire de Gozo. Dans L’Odyssée, Homère raconte comment Ulysse, échoué sur l’île, fut retenu par la nymphe. Souhaitant le garder avec elle après l’avoir sauvé, Calyspo lui proposa de partager un élixir d’immortalité. Ulysse refusa le breuvage divin, mais il lui fallut sept années avant de pouvoir reprendre son voyage.
En visitant la baie de Dwejra, la crique de Mġarr ix-Xini, les salines romaines de Qbajjar ou les temples de Ġgantija, érigés un millénaire avant les pyramides, on comprend mieux ce qui a retenu Ulysse si longtemps auprès de Calypso. Comme lui, on ne se libère que très difficilement des charmes de l’archipel maltais.