Le Luberon se glisse déjà dans ses habits d’arrière-saison
Provence•Sur fond de ciel bleu, le Luberon marie l’or des ocres, le blanc des calcaires et l’émeraude des pins. Une palette d’automne à contempler du haut de ses villages perchésJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
L’écrivain Jean Giono murmurait qu’ « à partir d’octobre, d’énormes morceaux du pays tombent dans le silence ». En cette saison, les bruits se feutrent et le temps ralentit sa course dans le Luberon, à l’ombre du château éventré d’Oppède. Récemment restaurées, ses venelles pavées, bordées d’herbes folles, se souviennent que le vieux village fut déserté au début du XXe siècle. Ce site austère et lumineux propose une première halte dans une enclave provençale encore sauvage, sculptée sur 60 kilomètres de falaises, de cirques et de combes calcaires.
Dans le jardin paysager d’Oppède, quinze terrasses articulées en amphithéâtre rassemblent toutes les essences caractéristiques du Luberon. Nous sommes ici sur le versant nord du massif, au royaume du chêne blanc. Sous son feuillage déjà bruni par l’automne, les baies rouges de l’alisier coiffent des champignons odorants comme le pied bleu, dont les amateurs remplissent leur panier de saison.
Si les pierres pouvaient parler
La cueillette conduit doucement vers l’est, où surgissent les façades blanches de Bonnieux. Cette forteresse médiévale se contemple de loin, sous la lumière crue de la mi-journée. Depuis la vallée du Calavon apparaissent ses trois rangées de murailles, écharpe de pierre évoquant la violente histoire du pays. Ici, comme à Oppède, plane encore le cauchemar des guerres de Religion. C’est en effet depuis Bonnieux que fut orchestrée la terrible répression contre les Vaudois de Lacoste. Installés dans la région à partir du XIIIe siècle, les Vaudois formaient une colonie de chrétiens prêcheurs. Ils furent décimés au XVIe siècle lorsque le Saint-Siège les décréta hérétiques.
Les rues de Bonnieux, apaisées depuis longtemps, hissent les curieux jusqu’à son oppidum primitif. Depuis ce balcon, le regard salue Lacoste, l’ancienne rivale, puis s’égare vers les hauteurs de la commune où trône une étonnante forêt de cèdres. Ces géants bleus ont été introduits dans le Petit Luberon en 1861. Ils y ont retrouvé le climat doux de leur Atlas natal.
Sur 5 kilomètres, un parcours embaumé par les lichens permet de découvrir l’écosystème original de la cédraie. S’il faut beaucoup de chance pour y rencontrer un hibou moyen-duc, une fouine ou une couleuvre d’Esculape, il est moins rare d’y croiser une belle rousse des cèdres et quelques autres champignons inféodés au noble épineux. En contrebas du village, le pont Julien, érigé au début de notre ère sur la Via Domitia, indique déjà la route de Roussillon.
Une terre d’or et de sang
Dressée sur sa falaise ardente, la capitale de l’ocre s’enflamme au soleil. Selon la légende, cette terre écarlate fut teintée par le sang indélébile des anges terrassés par Gabriel. Roussillon repose en fait sur un îlot de silice inclus entre les chaînons calcaires du Luberon et des Monts du Vaucluse. Le pin maritime, le châtaignier, diverses bruyères, cistes et sureaux s’épanouissent dans cet écrin, or et vermeil. La commune invite à découvrir son ancienne carrière d’extraction le long d’un sentier poudreux duquel les chaussures gardent généralement un souvenir tenace.
L'ocre, ensanglantée par l’oxyde de fer, fut exploitée pour la première fois en 1780 par Jean-Étienne Astier. Profitant des progrès ferroviaires, le commerce du pigment s’intensifia jusqu’au début du XXe siècle. Il servait notamment à la coloration de crépis, de cosmétiques, et même de croûtes de fromage. Sa production faisait alors vivre plus de mille ouvriers à travers le département. De leur travail harassant, combiné à l’érosion, sont nés des paysages surréalistes aujourd’hui livrés aux yeux émerveillés. Le retour en enfance est garanti devant ce décor aux allures de Western hollywoodien !