VOS QUESTIONSProstitution: «Sugar Babies et filles de bordels sont très jeunes et très attirées par les beaux objets»

Prostitution: «Sugar Babies et filles de bordels sont très jeunes et très attirées par les beaux objets»

VOS QUESTIONSSophie Bonnet, auteure de «Bordel» a répondu à vos questions ce jeudi entre 15h et 16h...
Christine Laemmel

Christine Laemmel

Le mot de la fin?

Le bordel dont je parle dans mon livre est un bordel de luxe ou les passes sont très chères et qui fait vraiment partie du haut de gamme des maisons closes. De plus en plus de Françaises vont désormais travailler dans les bordels dans les pays limitrophes (Belgique, Allemagne, Espagne) dans lesquels les conditions de vie sont vraiment beaucoup plus dures que celles que je décris, je n’ose donc même pas imaginer quelle peuvent être la vie et le quotidien de ces filles.

Xavier: Avec le recul, quel sentiment gardez-vous de cette enquête en maison close? De la révolte? Du dégoût? Du fatalisme?

Je voulais voir quelle était vraiment le quotidien dans un bordel car au moment des discussions sur la pénalisation des clients, la réouverture des maisons closes étaient souvent présentée comme LA solution sauf que personne ne sait vraiment ce qui s’y passe. J’ai donc choisi une forme brute de récit ou j’ai retranscrit les dialogues des filles et le déroulement d’une journée sans donner mon avis. Je ne voulais pas faire la morale ou expliquer ce qu’il convient de faire. Je voulais montrer quelle est vraiment la réalité d’un bordel, chacun est ensuite libre de se faire sa propre opinion. Ce qui est très clair pour moi est que les bordels sont loin d’être la solution idéale que l’on présente souvent et que les filles qui vont y aller pour travailler ont peu conscience de ce qui va leur arriver.

Chris: De votre enquête qui a conduit à votre livre, pouvez-vous dire si les travailleuses du sexe dans la Confédération suisse ayant une activité lucrative et donc encadrée, bénéficient toutes de l'assurance maladie suivant les 26 cantons? En règle générale, les établissements font-ils cotiser également ces professionnelles à une assurance vieillesse? Enfin quel est là-bas leur statut socio-professionnel et est-il reconnu par les différentes autorités du pays en question?

Je ne suis pas spécialiste des questions juridiques et je ne pourrais donc pas vous expliquer les différences précises entre les 26 cantons. En tous cas, les bordels sont tout à fait légaux et les filles sont donc déclarées aux moeurs et ont donc le droit de travailler comme prostituée. En théorie, elles ont donc le droit de bénéficier d’une assurance maladie, d’une assurance retraite, elles doivent déclarer leurs revenus et payer des impôts. Dans les faits, c’est assez différent, comme la plupart des prestations sont réglées en espèce, une partie de l’argent disparait. Dans le bordel ou j’étais, certaines filles n’avaient pas d’assurance maladie et ne cotisaient pas pour leur retraite. De toutes façons, elles ne cherchent pas vraiment à faire valoir leurs droits car elles ne se projettent pas du tout dans l’avenir, c’est très étonnant mais elles ne se disent pas qu’un jour, elles auront 30 ou 40 ans par exemple, cela leur semble à des années lumière.

Morgan: Il y a-t-il vraiment une différence entre la prostitution avec les escort de luxe (boy ou girl), les sugar dady/baby ou encore les hôtes (ou hôtesses au japon)? Ou ce sont juste de nouveaux mots pour ne pas dire «tu peux coucher avec la personne si t'y mets le prix»?

Il y a des nuances même si toutes ces prostitutions sont des prostitutions de luxe qui n’ont pas grand chose à voir avec les filles qui tapinent dans la rue. Ce que l’on voit c’est que ces nouvelles prostitutions sont en plein essor ces dernières années et que l’on tend effectivement à les présenter comme des activités comme les autres, ce qui est à mon avis complètement faux.

Les escort vont être payées pour une sortie, une soirée ou un week end, il y aura des prestations sexuelles mais il y a une notion d’accompagnement du client pour un temps limité.

Les sugar baby qui sont très à la mode ces derniers temps sont des jeunes filles qui vont chercher un «protecteur» avec qui elles vont avoir des relations sexuelles et qui vont en échange se faire offrir des objets de luxe, des bijoux, etc…

Le profil des filles est très semblable à celui que l’on trouve dans les bordels en Suisse, des filles très jeunes, très attirées par les beaux objets et qui ne sont pas obligées de se prostituer pour des raisons économiques. Elles ont décidé d’être pute et de ne pas avoir un travail normal, il ne s’agit pas du tout d’une obligation dans laquelle elle se trouveraient pour élever leurs enfants par exemple.

Elles veulent gagner beaucoup d’argent, facilement et ne surtout ne pas avoir la même vie que leurs parents, souvent smicards. C’est ce que me racontaient les filles. Malheureusement elles n’ont pas conscience d’être prises dans une spirale dont elles ne vont jamais sortir. Elles ne peuvent pas rapatrier en France l’argent qu’elles gagnent et elles vont souvent aller de bordel en bordel dans des conditions de plus en plus glauques.

Saturne: Est-ce que le fait de légaliser les maisons closes ne ferait pas de l'Etat Français... un proxénète?

C’est un peu excessif de dire cela mais en tous cas la prostitution génère énormément d’argent et ce sont très rarement les filles elles-mêmes qui en profitent. Ce sont en premier lieu les tenanciers de bordels qui vont gagner des fortunes. Mais à partir du moment ou les activités sont déclarées, les bordels vont payer des impôts et donc les différents états (Belgique, Suisse, Allemagne, Espagne...) vont en récupérer une partie.

Morgan: On parle surtout de la prostitution féminine mais quand est-il de la prostitution masculine?

Je n’ai pas d’information sur les bordels de prostitution masculine, si jamais ils existent ils sont extrêmement minoritaires et à ma connaissance, à chaque fois que l’on a annoncé l’existence de ce type d’établissements, c’était des affabulations.

Karlos: Existe-t-il des études sérieuses sur le rôle de «soupape de sécurité» que pourrait jouer la prostitution? Qui mettrait, par exemple en avant, une corrélation entre prostitution légale et baisse de la criminalité sexuelle?

Je n’ai pas connaissance d’études de ce type. Ce qui est clair, c’est la plupart des clients ne sont ni des pervers ni des détraqués sexuels. Certains sont des hommes en grande misère affective mais ils sont très minoritaires, la plupart sont vraiment des «Monsieur tout le monde» qui viennent acheter une prestation sexuelle et considèrent que c’est une prestation comme une autre. J’ai été très étonnée de la façon dont les filles parlaient de leurs clients, c’est assez éloigné de l’image «romantique» que l’on peut avoir parfois sur le fait que des histoires d’amour peuvent se nouer. Là, c’est vraiment uniquement des relations financières, les filles cherchent à récupérer le plus d’argent possible et les clients sont très «décomplexés».

Pascale: Le gros problème actuel, c'est l'appât du gain facile et toutes ces gamines de 18 à 25 ans pensent que cela n'aura aucune conséquence sur leur vie future et bien c'est faux! Il y a une phrase qui dit : pute un jour, pute toujours! C'est très dur mais c'est relativement vrai.

Oui, c’est ce qui m’a le plus choquée quand je suis arrivée dans la maison close, les filles sont très jeunes et la très grande majorité d’entre elles dépensent absolument tout l’argent qu’elles gagnent en vêtements de luxe, sacs à 4000 euros, bijoux, chirurgie esthétique... Comme si elles étaient incapables de résister à leurs pulsions d’achats. Une infime minorité de filles vont avoir le projet de mettre de l’argent de côté pour s’acheter un appartement, une voiture, etc. Elles ne se projettent pas du tout dans l’avenir. C’est pour cela que j’ai enregistré les conversations et que je les ai retranscrites, car je voulais vraiment montrer à quoi elles passent leur temps et de quoi elles parlent…. Et en fait elles ne discutent que d’argent et de vêtement , jamais de projet d’avenir.

Morgan: Pourquoi les états ne se réunissent pas pour discuter du sujet ensemble au lieu de faire chacun un truc? En légalisant la prostitution ( pas celles des mineurs, ce serait horrible), les pays pourraient lutter efficacement contre les réseaux mafieux en retirant une partie de leur bénéfice. A combien est estimé le «marché» de la prostitution dans le monde?

Une très grande partie de la prostitution est tenue par les mafias c’est donc impossible à estimer financièrement. En tous cas, ce qui est sur c’est que la légalisation des bordels ne rend pas la vie des prostituées de rue plus facile car ce ne sont pas les mêmes profils de filles qui se prostituent dans la rue et dans les bordels. En fait l’ouverture des bordels ajoute une nouvelle offre et crée un appel d’air très clair. Dans leur très grande majorité, les filles qui viennent travailler dans les maisons closes ne seraient jamais allées se prostituer au bois de Boulogne ou à Strasbourg Saint-Denis. La légalisation augmente le nombre de prostituées et augmente aussi le nombre de clients.

Je pense que c’est un sujet complexe et que les états essaient des choses chacun dans leur coin. Personne n’a la solution idéale. En tous cas le fait que beaucoup de pays limitrophes à la France aient légalisé les bordels a crée un «tourisme des bordels» qui n’existaient pas il y a quelques années , beaucoup de Français partent faire des virées le long des frontières...

Saturne: Selon vous, existe-t-il un bon modèle de législation sur le sujet? (En comparant l'exemple Belge, Allemand ou autre)

On dit souvent que la prostitution est le plus vieux métier du monde et donc je pense vraiment que s’il existait une solution-miracle, ça se saurait… En tous cas, un certain nombre de pays comme l’Espagne ou l’Allemagne qui ont favorisé l’ouverture de très grandes maisons closes ces dernières années commencent à remettre leur modèle en question. Les filles qui y travaillent sont effectivement en sécurité et officiellement déclarées mais leurs conditions de travail sont extrêmement difficiles (il y a par exemple des forfaits «filles à volonté et bières à volonté»). Elles doivent faire énormément de passes pour arriver à vivre, il y a une grande violence psychologique et finalement ceux qui profitent du système ce sont les tenanciers des bordels et certainement pas les filles.

AG: Pourquoi n’y a-t-il que des Françaises dans ce bordel?

Il n’y a pas que des Françaises mais c’est vrai qu’environ 80% des filles viennent de l’hexagone et sont originaires des cités de grandes villes françaises, Paris, Lyon , Marseille… Elles viennent se prostituer en Suisse car les bordels y sont légaux, elles ont souvent vu des reportages à la télé assez flatteurs sur ces maisons closes Elles se disent qu’elles vont pouvoir très bien gagner leur vie. Elles vont effectivement gagner entre 15.000 et 20.000 euros par mois mais la réalité est en fait beaucoup moins rose et moins «glamour» que ce qu’elles attendent et que ce qui est généralement décrit.

Martin: La rengaine des maisons closes revient toujours. N’y a-t-il pas une part de fantasme des Français?

Oui les bordels représentent un fantasme et on a souvent une vision très édulcorée et joyeuse de ce qui s’y passe, c’est pour cela que je voulais vraiment passer du temps à l’intérieur de la maison close et décrire précisément quel est le quotidien de ces filles.

--------------------------

Les députés français ont adopté fin novembre une proposition de loi visant à pénaliser les clients de prostitués. Un texte qui a agité les politiques comme les électeurs pendant de longues semaines d’automne. Syndicats de travailleurs et travailleuses du sexe, féministes, et simples citoyens s’opposant sur la marchandisation du corps humain comme la liberté de travailler. Une solution était parfois soufflée: les maisons closes. Mystifiés ou noircis, ces établissements interdits en France ont pignon sur rue chez nos voisins allemands… et suisses.

C’est dans le pays helvétique que Sophie Bonnet a enquêté. Dans son livre, Bordel (paru chez Belfond), l’écrivain relate une journée à l’intérieur d’une maison close suisse. Suivant prostituées et clients, elle y retranscrit des faits et des dialogues authentiques, où liberté et dureté se côtoient.

» Les maisons closes ont-elles de l’avenir en France? Le modèle permet-il de réduire le proxénétisme en Suisse? A quoi ressemble le quotidien d’une prostituée?

Posez toutes vos questions à Sophie Bonnet, qui répondra en direct à vos questions ce jeudi 3 avril à 15h. Vous pouvez envoyer vos questions à chat@20minutes.fr ou les poster dans les commentaires ci-dessous.

La couverture de «Bordel», le livre de Sophie Bonnet - Belfond