Narrateur, un métier de plus en plus populaire mais menacé par l’IA

      En plus de menacer le doublage, l’IA va-t-elle piquer le boulot des narrateurs ?

      livres audioA mesure que les livres audios ont gagné du terrain, les comédiens voix ont été davantage sollicités. Mais le développement de l’IA fait planer le doute sur l’avenir de la profession
      Youssef Zein

      Youssef Zein

      L'essentiel

      • Malgré une baisse globale de la lecture, le livre audio gagne en popularité en France. Au cœur du plaisir de l’écoute : le travail de celui ou celle qui lit et interprète le livre au micro. Le narrateur ou comédien voix.
      • Les progrès de l’IA dans la synthèse vocale posent un défi pour l’avenir des comédiens voix, bien que la qualité de l’interprétation humaine reste pour l’instant supérieure selon les professionnels.
      • L’IA présente des avantages pour l’accessibilité des livres aux personnes malvoyantes, mais soulève des inquiétudes quant à l’avenir de la profession.

      Si les Français lisent de moins en moins d’histoires, ils sont de plus en plus désireux d’entendre des voix leur en raconter. Le CNL (Centre national du livre) a beau pointer une baisse globale de la lecture, une étude menée par Opinionway pour Audible parue en avril 2025 nous apprend que 51 % des moins de 35 ans ont déjà écouté des livres au lieu de les lire. 71 % d’entre eux déclarent même que le format contribue à leur redonner goût à la lecture.

      Cet engouement a fait émerger une profession : celle de comédien voix. Audible, leader sur le marché, écrivait en 2021 : « Au départ, les livres audio utilisaient la synthèse vocale, c’est-à-dire une voix générée par ordinateur. Aujourd’hui, la voix humaine est privilégiée, car elle permet une plus grande proximité avec le lecteur, plus de chaleur et une meilleure intonation ». Le rendu « humain » continue de l’emporter, pour l’instant. Mais à l’heure de l’IA, des startups comme Fabuly, Eleven Labs, ou encore OpenAI proposent des solutions de synthèse toujours plus avancées.

      Autant dire que du côté du monde de l’édition, ça donne de la suite dans les idées : « Les éditeurs y pensent sérieusement, surtout pour les titres de fond de catalogue », explique Arnaud Lecompte, directeur du développement international de Nord Compo, acteur majeur du monde de l’édition, y compris audio. « On a aujourd’hui des solutions de voix synthétiques très avancées, capables de véritable clonage vocal. Si un comédien a suffisamment d’enregistrements, on peut aujourd’hui reconstituer sa voix et lui faire dire ce qu’on veut. » De quoi laisser planer un certain doute quant à la pérennité de la profession de « comédiens voix », au-delà même du livre.

      « Un vrai danger potentiel pour le métier »

      Pour l’heure, l’industrie du livre en France reste quelque peu frileuse à l’idée de sauter le pas. Les progrès de la machine sont fulgurants, mais n’égalent toujours pas la richesse de la voix humaine. Comme l’explique le responsable de Nord Compo, « même avec de l’IA, il y a encore un besoin d’un ingénieur du son. Ce n’est pas du bouton magique. Puis il y a une qualité, une subtilité dans l’interprétation humaine que l’IA ne reproduit pas encore. En tout cas, pas complètement. » Une analyse que partage Eric Lebret, comédien spécialisé dans la voix off et la narration de livres : « L’IA ne sait pas encore égaler un comédien. Elle manque de nuances, d’émotion. C’est très propre, mais ça manque d’âme. »

      Face à l’IA, les narrateurs n’ont pas manifesté la même levée de boucliers que leurs homologues comédiens de doublage. Pourtant, les trajectoires qui se dessinent paraissent similaires. Les acteurs d’un milieu ont souvent un pied dans l’autre et les professions se ressemblent sur de nombreux points. « C’est un métier de passion et de combat », comme dirait Eric Lebret. « Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Les voix connues, comme Françoise Cadol, la voix d’Angelina Jolie, sont régulièrement sollicitées. Pour les autres, il faut s’imposer : proposer beaucoup, répondre vite, être fiable, et surtout bosser énormément sur sa voix », poursuit le comédien. Autant dire que d’après lui, l’IA, ne va pas faciliter la trajectoire des prétendants : « C’est un vrai danger potentiel pour le métier. Les comédiens qui nous inspirent aujourd’hui sont ceux qui ont transmis leur passion. Si on les remplace par des IA, qui sera en mesure de former la génération suivante ? » S’il ne voit pas la vague IA reculer, le comédien souhaiterait que la législation intervienne, obligeant l’éditeur à informer les auditeurs de la présence de voix synthétiques dans la version audio d’un ouvrage.

      Un outil d’inclusion

      Bibliothèques à écouter de poche, les applis comme Spotify ou Audible ont contribué à l’émergence du format, mais « le profil du lecteur audio a également changé », observe Arnaud Lecompte. « Aujourd’hui, ce sont les jeunes, plus précisément les moins de 34 ans, qui en écoutent le plus. Il y a une vraie mutation culturelle, avec une nouvelle génération de ''lecteurs audio'' qui arrive par l’audio, puis découvre le livre. Alors qu’historiquement, le livre audio était surtout destiné aux personnes malvoyantes ou âgées », analyse le représentant de Nord Compo.

      Des milliers d'offres d'emploi en un clic

      Eric Lebret, et sa voix, sont d’ailleurs engagés auprès de l’association Valentin Haüy, qui propose des lectures d’ouvrages à des personnes malvoyantes et aveugles. Cette expérience, en plus de sa carrière passée dans l’informatique, l’amène à avoir une approche nuancée sur la concurrence synthétique : « On manque de donneurs de voix pour les publics avec lesquels on travaille. Dans ce cas de figure, l’IA peut avoir un rôle magnifique. Pouvoir rapidement rendre accessible le contenu d’un livre en PDF à une personne aveugle, c’est quelque chose de merveilleux. » Mais dans l’équation, l’avenir ne semble pas tout rose pour la profession.

      Des milliers d’offres partout en FrancePostulez avec Actual, le partenaire emploi de 20 Minutes
      Postuler