L’esprit de compétition a-t-il sa place dans le monde du travail ?
battle royale•Depuis la fin des années 1960, les employeurs développent un esprit de compétition en entreprise. Mais à quel prix ?Youssef Zein
L'essentiel
- La compétition entre salariés a été introduite dans les entreprises depuis la fin des années 1960. Toutefois, cette orientation a des effets négatifs sur la santé mentale des travailleurs et génère de l’anxiété.
- « La compétition est positive, mais encore faut-il qu’elle soit saine », explique Bruno Gourévitch du cabinet de conseil Altaïr.
- Moins enthousiaste, la sociologue et directrice de recherche au CNRS Danièle Linhart explique qu'« il vaut mieux miser sur le sens du collectif que sur les antagonismes ».
Pour arracher une médaille, les athlètes des Jeux olympiques doivent faire preuve d’un esprit de compétition sans faille. Mais qu’en est-il des acteurs du monde du travail ? Depuis quelques décennies, les entreprises instaurent de la compétition au sein même de leurs équipes. « C’est la même logique que les JO. Mais dans le monde du travail, on est en compétition pendant quarante ans », affirme Danièle Linhart, sociologue et directrice de recherche au CNRS. Moyennant – ou non – une récompense, les salariés sont mis à l’épreuve contre leurs collègues, les autres services de la boîte, voire eux-mêmes.
« Ça motive et valorise les collaborateurs, mais il faut que ce soit bien géré », explique Bruno Gourévitch, associé au cabinet de conseil en gestion de crise et management de risques Altaïr. « Derrière la notion de compétition, le stress et les risques de burn-out ne sont pas très loin », ajoute le spécialiste. Si placer les salariés sur les starting-blocks a des effets sur la productivité d’entreprise, ce n’est pas sans conséquences sur leur moral ou l’ambiance d’entreprise.
Une tendance souhaitée par le patronat
Pour la sociologue Danièle Linhart, cette dynamique voit le jour après la grève générale de mai 1968. Et à l’origine de cette tendance, il y a une impulsion du patronat : « Les collectifs informels de travailleurs étaient très forts et solidaires. Le patronat a souhaité casser cette force par l’individualisation et cette mise en concurrence des salariés. »
A une époque où le bien-être au travail devient un sujet majeur, cette organisation interroge. En février dernier, Ouest-France s’interrogeait sur « l’épidémie de burn-out » que connaît le marché français de l’emploi. D’après les différentes études, entre 300.000 et 500.000 travailleurs seraient en situation de burn-out. Pour la directrice de recherche, ce climat compétitif n’arrangerait pas franchement les choses. « Ça crée une sorte de précarité subjective. Aujourd’hui, même un salarié qui serait en CDI est effrayé par le fait de toujours être évalué. On a développé une forme d’anxiété de chaque instant. »
Un système contre-productif ?
Il y a derrière cette mise en compétition une volonté de maximiser les performances de la boîte. Bruno Gourévitch croit aux bienfaits de cette approche, à condition qu’elle soit accompagnée de transparence et de justice. « La compétition est positive, mais encore faut-il qu’elle soit saine. Il faut être capable de valoriser ses équipes sur une base de critères clairs et qui n’installe pas de soupçon d’inégalité de traitement. »
Sur ce point, Danièle Linhart est beaucoup moins enthousiaste. Outre les effets négatifs sur la santé mentale, la sociologue conteste les vertus de la compétition intra-entreprise sur sa productivité. « Il vaut mieux miser sur le sens du collectif que sur les antagonismes. Le soutien, la stimulation commune et le partage d’idée créé une atmosphère productive. » Quoi qu’on en pense, il est certain que la logique compétitive poussée à son paroxysme en entreprise peut épuiser : 35 heures passeront toujours plus vite en présence de bons coéquipiers, que de farouches adversaires.
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