L’industrie en manque de bras… et de cheveux blancs
emploi•Parce que les savoir-faire sont en partie perdus et le secteur trop dévalorisé, les seniors sont des leviers essentiels pour la réindustrialisation de la FrancePeople at Work
Notre industrie n’a jamais été autant confrontée à une telle pénurie de compétences et de main-d’œuvre. La Dares (la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) estime qu’entre 2017 et 2022, le nombre d’emplois industriels vacants a été multiplié par trois pour atteindre 60.000. En 2022, 67 % des chefs d’entreprise de l’industrie manufacturière déclarent ainsi éprouver des difficultés de recrutement.
Le monde de l’industrie recrute (mais personne ne le sait)
Gilles Attaf, cofondateur des Forces françaises de l’industrie (FFI) et président d’Origine France garantie (OFG) considère les « seniors » comme un levier essentiel pour la réindustrialisation. « On nous avait vendu que l’atelier du monde serait en Chine et que l’on ne produirait plus rien en France. Des talents sont partis mais ils reviennent car on observe un changement de paradigmes. L’industrie a de nouveau le vent en poupe. On écoute les seniors qui retrouvent, eux aussi, une certaine fierté. Les entreprises ont envie de garder leurs anciens qui ont un rôle essentiel à jouer dans le pacte social qui passera par l’industrie. »
Gilles Attaf met en avant tous les avantages offerts par l’industrie par rapport au monde des services : des salaires plus élevés de 20 %, deux fois moins de burn-out et un quart d’arrêt de travail en moins. De plus, les seniors ont de plus en plus la possibilité de faire évoluer leur carrière avec un nouveau challenge et d’être allégés de certaines tâches pénibles avec le développement de la robotique et de l’IA.
Les initiatives se mettent en place
Pour Stéphane Dubois, directeur des ressources humaines et sociétales de Safran – 8.420 de ses 45.000 salariés français ont plus de 55 ans – « si l’on veut que les salariés expérimentés restent plus longtemps dans l’entreprise, il faut que les entreprises elles-mêmes changent leur organisation du travail. On est aujourd’hui à 32 % de seniors, on vise 35 %. » Safran a récemment passé un accord sur les métiers les plus exigeants physiquement avec une possible reconversion vers un autre métier au sein du groupe après 50 ans. Des opportunités de reconversion vers l’électronique analogique ont notamment été offertes alors que le groupe manque de compétences sur ces métiers auxquels les jeunes ne sont plus formés. « Quand vous formez ou repositionnez un senior de 55 ans, il y a beaucoup plus de chances qu’il soit là dix ans plus tard alors qu’un jeune risque de quitter plus facilement l’entreprise. »
Florence Poelman-Bonnevay, coach, chargée d’études pour la Chaire Fit2 de l’École des Mines de Paris, vient de signer avec Pierre Emmanuel Médioni le document « Gestion de carrière des seniors : éclairages et pratiques des entreprises ». Ensemble, ils recensent de nombreuses initiatives déployées en faveur des seniors. Danone a ainsi mis en place dès 2012 le programme Octave, de leadership intergénérationnel et interentreprises, né de la volonté de donner une place à toutes les générations dans l’entreprise pour qu’elles travaillent mieux ensemble au service de la performance collective.
L’industriel Legrand – 5.000 salariés – a décidé d’accorder des conditions spécifiques aux seniors, aux aidants familiaux et aux personnes en situation de handicap, en autorisant un jour de télétravail supplémentaire à ceux-ci. L’accord précise clairement que le dispositif s’adresse aux salariés de plus de 58 ans « afin de tenir compte d’éventuelles contraintes physiques liées à l’âge tout en préparant la transition vers la retraite ». NGE, qui a obtenu le label Emploi + 45 ans, fait travailler les seniors et les jeunes ensemble. Au moment de l’embauche de jeunes salariés, des binômes sont formés : « Le senior explique au junior les bons gestes professionnels, la culture de l’entreprise. Le jeune apporte le regard de sa génération sur les métiers et son énergie. »
L’introduction de robots
Si la technologie représente très souvent une menace pour l’emploi, en utilisant la robotique et les exosquelettes, de nouveaux postes moins pénibles sont dès à présent proposés aux seniors dans l’industrie. L’IA peut, elle aussi, limiter l’usure professionnelle liée à des tâches répétitives et permettre de se concentrer sur la valeur ajoutée. Selon le dernier rapport de l’IFR (fédération internationale de la robotique), l’installation des robots dans l’industrie française est en hausse de 13 % en 2022, atteignant 7.380 unités. La France demeure en 7e position mondiale en matière de déploiement de robots industriels, soit, à date, 132 robots pour 10.000 salariés. L’équipementier automobile champardennais Carbody (concepteur et fabricant de pièces à base de plastique, caoutchouc ou mousse) s’est doté d’une quinzaine de robots. La productivité et la compétitivité de l’entreprise ont été augmentées tout comme les conditions de travail des salariés. BMW va tester l’introduction de robots humanoïdes dans ses usines de fabrication. Le constructeur a annoncé un partenariat avec la société Figure, qui vise à déployer des robots à usage général dans les environnements de fabrication automobile.
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