Hectar lance « Farm’her » pour donner de la voix aux femmes agricultrices
terre à terre•Omniprésentes dans le monde agricole, les femmes sont plus souvent cantonnées au statut de conjointes que bien ancrées aux commandes d’une exploitation. Hectar, créateur de solution pour la transition agricole, entend renforcer leur visibilitéPeople at Work
L’inquiétude gagne le monde agricole. D’ici à 2026, un agriculteur sur deux sera en âge de partir à la retraite, selon une étude réalisée par la Mutualité sociale agricole (MSA) en février 2020. Deux ans plus tôt, l’organisme comptabilisait quelque 450.000 chefs d’exploitation dans l’Hexagone, contre 1,1 million en 1988. Et le renouvellement de génération est loin d’être assuré, même si la filière agricole attire de plus en plus les jeunes, dont 40 % ne sont pas des enfants d’agriculteurs. Les raisons du malaise et du désenchantement sont nombreuses : faible valorisation des produits, endettement, sécheresse, fermetures des exploitations, etc. Le suicide au sein de la profession atteint même un taux vertigineux : un agriculteur ou une agricultrice met fin à ses jours quotidiennement en France…
Une nouvelle génération d’entrepreneurs
C’est face à ce constat, et alors que 160.000 fermes seront à reprendre dans les trois ans, qu’Hectar, le plus grand campus agricole du monde, a vu le jour en septembre 2021, à Lévis-Saint-Nom, dans les Yvelines. Fondé par Audrey Bourolleau, une ancienne conseillère du président Emmanuel Macron, et le milliardaire Xavier Niel, cet ensemble agricole de près de 600 hectares, dont une ferme pilote de 250 hectares, a pour objectif de former une nouvelle génération d’entrepreneurs à la reprise d’exploitations laissées à l’abandon.
Pour faire face aux enjeux climatiques, sociaux et économiques du secteur, Hectar aide celles et ceux qui travaillent la terre en proposant des formations entrepreneuriales grâce à un réseau de plus de 500 mentors, accompagne des start-up du domaine agricole en partenariat avec l’incubateur de l’école de commerce HEC Paris, ou organise des événements et séminaires pour sensibiliser l’opinion publique, notamment les plus jeunes, à la question de la transition agricole. Les cinq semaines de formation sont gratuites pour l’apprenant, et dispensées non par des enseignements mais par des pairs – sur le même modèle que les écoles de codage informatique « 42 », fondées elles aussi par Xavier Niel. « Nous voulons que les projets soient à la fois robustes sur le plan économique, respectueux sur le plan social, avec des salaires dignes et des congés suffisants, et acceptables sur le plan environnemental », explique Valérie Fuchs, consultante en communication et en relations médias.
Inégalités persistantes
Hectar nourrit aussi une autre ambition, et non des moindres : permettre aux femmes du monde agricole de faire entendre leur voix, de renforcer leur présence et leur reconnaissance dans le secteur. Car si elles représentent un quart des chefs d’exploitation et d’entreprises agricoles, les femmes « sont surtout connues comme conjointes d’agriculteurs et souffrent d’inégalités persistantes », note Hectar. Dans les postes à responsabilité, les femmes sont même presque invisibles. Moins de 10 % d’entre elles font d’ailleurs partie des conseils d’administration des coopératives.
Pour tenter de remédier à ce problème, Hectar a donc lancé le dispositif Farm’Her à leur intention. Ce programme d’accompagnement intensif, basé sur des ateliers en groupe, réunit une dizaine de femmes à chaque session de cinq semaines, dont trois journées en présentiel sur le site d’Hectar et six ateliers en distanciel. La formation, prise en charge par un mécène (Engie a financé les deux premières sessions et financera la prochaine), n’exige pas de niveau académique particulier. Les femmes choisies pour intégrer le programme viennent des quatre coins de la France, y compris des départements et régions d’outre-mer, et sont issues de tous les secteurs (tech, viticulture, maraîchage, élevage, etc.).
Cinq objectifs
Farm’Her vise cinq objectifs : renforcer la présence des participantes et leur visibilité, mieux valoriser leurs compétences, développer leurs soft skills, encourager la culture du réseau et de l’entraide, et valoriser leur participation active. « Nous voulons briser le plafond de verre, poursuit Valérie Fuchs. L’objectif est d’identifier les entrepreneuses agricoles et les femmes exerçant des responsabilités dans ce secteur afin de leur donner des outils modernes pour qu’elles acquièrent de nouvelles compétences, qu’elles osent affirmer leurs ambitions et sauter le pas. C’est un cercle vertueux : plus elles seront visibles dans le monde agricole, plus elles deviendront des modèles pour d’autres femmes. » Une évaluation finale permet de faire le bilan à la fin du programme.
Jusqu’à présent, Farm’Her a dispensé deux formations, en 2021 et en 2022. Vingt et une femmes ont pu en bénéficier, qu’elles soient à la tête d’exploitations ou de syndicats agricoles. Parmi elles, Lucie Gantier, bien connue sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme « Les Jolies Rousses », diplômée de philosophie et éleveuse de poules pondeuses en Vendée depuis 2019 ; Aude Gaillard, à la tête de la ferme bretonne Lait Gaillardises ; ou encore Caroline Payen, fondatrice de la marque de pâtes artisanales Papote. La prochaine session aura lieu lors du premier trimestre de 2024. Les agricultrices qui le souhaitent peuvent d’ores et déjà postuler en ligne sur le site Internet d’Hectar. « Celles qui sont passées chez Hectar continuent de s’appeler, de s’entraider. Les femmes sont déjà présentes dans le monde agricole. Nous les aidons simplement à être de plus en plus nombreuses et visibles », conclut Valérie Fuchs.
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