Les freelances plus exposés que les autres travailleurs à la dépression et au surmenage
boulot boulot boulot•Dans un contexte économique difficile, les freelances, responsables de leur salaire, sont particulièrement exposés aux troubles mentauxYoussef Zein
L'essentiel
- Le mode de vie freelance a le vent en poupe, mais ses membres ne sont pas épargnés par les troubles mentaux
- Entre angoisse et solitude, les indépendants peuvent vite être submergés
- Les experts interviewés encouragent les freelances à se regrouper, à adopter une hygiène de vie stricte pour ne pas se laisser déborder, et se disent favorable à une évolution du statut d’indépendant
Le mode de vie freelance a de quoi séduire. Il a d’ailleurs été mis à l’honneur lors du festival Freeup dédié aux indépendants, les 20 et 21 novembre 2023 à Paris. Néanmoins, le quotidien n’est pas tout rose pour ces entrepreneurs modernes : l’autonomie ne garantit pas la sécurité et la tranquillité d’esprit d’un contrat salarié. Si un CDI n’immunise pas contre le stress, l’absence de la ceinture de sécurité que représentent les avantages du contrat salarié rend plus vulnérable les indépendants face au surmenage et à la dépression. Hind Elidrissi, cofondatrice de Wemind, une néoassurance pour freelances, en est convaincue : « La liberté et la totale autonomie exposent davantage les indépendants aux situations d’angoisse. Ils ne sont pas plus fragiles que les salariés, mais ils sont confrontés à des conditions plus difficiles ».
Les profonds problèmes de gestion du temps et de solitude
Travailler seul, sans filet de sécurité, expose particulièrement aux troubles mentaux, dont les causes peuvent être multiples. Parmi celles-ci, la capacité à se constituer un réseau pour vendre ses services : l’indépendant qui démarre ne dispose pas nécessairement des ressources ou des connaissances pour se construire une bonne image de marque. « Par défaut, un freelance débutant ne sait pas se vendre. S’il ne parvient pas à trouver des contrats, il peut rapidement sombrer dans une spirale d’angoisse. C’est souvent à ce moment qu’il va être amené à faire les mauvais choix », explique Antoine Carre, freelance dans le développement d’applications mobiles.
Même une fois sa clientèle acquise, tout n’est pas gagné. Si le client est roi, la relation qu’il a avec le freelance peut vite tourner à la monarchie absolue. Pas facile de refuser un contrat, quand le salaire que l’on se verse à la fin du mois en dépend. Flavie Prévot, fondatrice du collectif de freelances Fleet, souligne que « malheureusement, les freelances sont poussés à dire « oui » à tous leurs clients. Il est très difficile de se libérer de cette pression. Le travailleur indépendant vend son temps et est confronté à de nombreuses incertitudes au quotidien. » Bien sûr, la solitude est également une cause majeure de stress : la généralisation du travail à distance qui a suivi le confinement n’a pas été un succès pour tout le monde. « Le télétravail est un véritable atout pour certains, mais pour d’autres, l’isolement est très compliqué. Il est donc important d’être conscient de tout ce que ce mode de vie implique », souligne Antoine Carre.
Les solutions à apporter, entre initiative individuelle et collective
Pour casser la solitude, les freelances commencent à se regrouper au sein de collectifs tels que Fleet, ou à lancer des initiatives fédératrices comme le Freeup Festival. Individuellement, des gestes d’hygiène mentale à la portée de tous sont vivement recommandés par Flavie Prévot : « Il est essentiel de prendre au moins une journée de repos par semaine, de bouger, de marcher ou de consacrer du temps sans écran. » . Antoine Carre ajoute : « Il ne faut ni attendre, ni hésiter à en parler autour de soi ou à des spécialistes dès l’apparition de signes précurseurs. Les heures sont précieuses, c’est pourquoi savoir maintenir ses distances avec les clients et refuser leurs demandes est indispensable pour éviter d’être submergé. »
Enfin, des actions législatives pourraient être bienvenues pour améliorer la santé mentale des freelances. Hind Elidrissi appelle à une redéfinition du statut de freelance : « Selon le droit français, l’indépendant est considéré de la même manière que l’agriculteur du XIXe siècle. Contrairement au freelance d’aujourd’hui, cet agriculteur est autonome sur le plan alimentaire. Aujourd’hui, l’indépendant est urbain, tertiaire et dépendant de ses clients. Il est donc nécessaire de repenser le système ». Cyril Thiriet, cofondateur du festival Freeup, partage ce sentiment : « Il y a beaucoup à faire pour notre secteur. Par exemple, je suis favorable à un équivalent de la caisse de chômage pour les indépendants. » L’indépendance a donc beau épargner le travailleur des engueulades de son n + 1, elle ne le rend hélas pas imperméable aux troubles mentaux.