Toulouse : Faut-il vraiment démolir les célèbres barres Candilis du Mirail ?
OR EN BARRE ?•Encensés il y a cinquante ans, puis décriés, les immeubles Candilis du Mirail, à Toulouse, connaissent un étonnant retour en grâce, alors que cinq d’entre eux sont voués à la démolitionHélène Ménal
L'essentiel
- Le projet de rénovation urbaine du quartier populaire de la Reynerie à Toulouse prévoit la destruction de cinq des fameuses résidences Candilis.
- Mais des habitants, rejoints par un collectif d’architectes, demandent un « moratoire ».
- Ils plaident pour la solution, plus écologique et plus spectaculaire selon eux, d’une réhabilitation de ces immeubles qui, en bien ou en mal, ont fait parler d’eux pendant cinquante ans.
«Ce ne sont pas les bâtiments qui font les problèmes ». Jean-Louis vit depuis plus de quarante ans à La Reynerie, au cœur du quartier populaire du Mirail. Et ne comptez pas sur lui pour alimenter le débat sur les grands ensembles inhumains, les barres immenses qui enlaidissent le paysage. Il est attaché aux berges du lac, aux allées arborées, mais aussi aux « vastes appartements traversants et sans vis-à-vis » imaginés à la fin des années soixante par l’architecte Candilis et son équipe.
« Je ne dis pas que tout va bien mais ce n’est pas en démolissant tout qu’on va résoudre les difficultés sociales, estime le Toulousain. Ils l’ont fait pas loin à Bellefontaine et le deal n’a pas disparu pour autant ». Le sexagénaire fait partie de l’assemblée des habitants signataire d’un appel à moratoire sur la démolition des bâtiments Candilis.
Cinq immeubles Candilis détruit, huit autres réhabilités
A La Reynerie, cinq de ces fameux immeubles sont désormais concernés par le projet de rénovation urbaine remis plusieurs fois sur le métier depuis une décennie : les résidences Gluck, Poulenc Grand d’Indy, Cambert et Messager. Mandatés par la métropole, les bailleurs sociaux ont depuis longtemps commencé le relogement des locataires, au grand dam de Jean-Louis qui a vu partir « des personnes âgées, un peu perdues, vers d’autres villes ». Karine Bellemare, elle, est toujours là. L’appartement qu’elle habite à Messager a été acheté par sa mère en 1977. Sur les 85 copropriétaires de cette barre de 260 logements, ils ne sont plus que 25 à résister aux sirènes de ce qu’elle appelle « le management agressif du rachat ». Celle qui s’est présentée récemment sur une liste citoyenne aux Départementales pour faire entendre sa voix considère que « le quartier est assez aéré ». Elle trouve surtout qu’il y a « une aberration à dépenser un milliard d’euros pour démolir 971 logements qu’on peut réhabiliter et en reconstruire 981 ».
Gaëtan Cognard, le maire de quartier et élu chargé de la Politique de la Ville, ne résume pas exactement le dossier de la même façon. Il rappelle que si cinq immeubles Candilis sont promis à la démolition – dont Gluck dans moins d’un an – huit autres, eux aussi originels, vont être réhabilités. « Le projet, qui vise à améliorer le cadre de vie, comprend aussi la rénovation de la base nautique au pied du château et l’embellissement de la place Abbal », précise-t-il. Le conseiller municipal explique enfin que pour le relogement la consigne a été donnée de « faire dans la dentelle, avec une attention toute particulière aux plus fragiles ». Pour preuve que l’opération fonctionne, il souligne que 50 familles de Gluck ont accepté de partir en l’espace de 9 mois et qu’il n’en reste plus qu’une quarantaine sur 208. Un moratoire ? « La concertation a déjà été faite. Il n’y a pas de sujet », déclare Gaëtan Cognard qui a exhumé une archive de l’INA de 1992 où Candilis en personne concède à une journaliste que son projet était « démésuré ».
Les seuls appartements « qui ont résisté dans le quartier à l’explosion d’AZF »
Mais sur place, le débat n’agite pas que des habitants nostalgiques ou des copropriétaires réfractaires. Un collectif d’architectes a rejoint la fronde et crie au sacrilège. « On doit sauver tous les bâtiments Candilis ! Comment peut-on jeter par-dessus bord une telle intelligence urbanistique ? », se récrie Jean-Pierre Sirven. Avec ses confrères signataires, il est admiratif de ces bâtiments en « Y », de ces appartements insonorisés avec loggias alimentés au chauffage urbain, « les seuls qui ont résisté dans le quartier à l’explosion d’AZF ». Pour eux, en des temps où l’on parle de développement durable, ces immeubles et « ces logements d’une incroyable qualité sont tout à fait réhabilitables ». « Il faut un grand débat, un grand concours d’urbanistes pour imaginer un vrai beau quartier », lance l’architecte Michel Retbi. Les hommes de l’art sont persuadés que la résurrection de Candilis pourrait être un « grand coup urbanistique pour Toulouse ».