Confinement à Toulouse : Au centre de rétention, la « situation ubuesque » de migrants « sans perspectives de sortie »
REPORTAGE•Ce lundi matin, la députée LFI de la première circonscription d’Ariège visitait le centre de rétention de Cornebarrieu. L’élue a dénoncé les conditions difficiles de rétention en temps de crise sanitaireBéatrice Colin
L'essentiel
- Ce lundi, la députée insoumise Bénédicte Taurine, députée de l’Ariège, visitait le centre de rétention.
- En raison des mesures sanitaires, moins de personnes y ont été retenues depuis le début de l’année, mais les durées de rétention y sont parfois plus longues.
- Les vols retour sont parfois inexistants et les frontières fermées pour la plupart, ce qui limite les mesures d’expulsion selon l’élue et la Cimade, une association d’aide aux migrants.
Comme n’importe quel visiteur, elle a décidé de se garer en bord de route, à plusieurs mètres du centre de rétention de Cornebarrieu, ouvert il y a quatorze ans en bord de piste de l'aéroport de Toulouse-Blagnac. Et pour rejoindre l’entrée du CRA, elle a pataugé dans la boue de la bordure, aucun trottoir digne de ce nom ne reliant l’arrêt de bus au lieu où sont retenus les migrants en attente d’expulsion. Pourtant, Bénédicte Taurine n’est pas vraiment n’importe qui.
Pour preuve, ce lundi, le directeur interdépartemental de la police aux frontières est là en personne pour la recevoir et répondre à ses questions. Car pour la deuxième fois en dix jours, la députée LFI de la première circonscription d’Ariège a exercé son droit de visite de parlementaire dans ce lieu de privation de liberté. La semaine prochaine, elle ira en région parisienne. « Je veux me rendre compte de ce que vivent les gens quand ils viennent ici », indique Bénédicte Taurine.
30 % de retenus en moins en 2020
Surtout en cette période de crise sanitaire. Depuis le mois de mars, les retenus, le personnel et les policiers du centre vivent au rythme des protocoles sanitaires et fermetures de frontière. Alors qu’en 2019, 1.272 personnes étaient passées par le CRA de Cornebarrieu entre début janvier et début décembre, cette année, 863 y ont été enfermées selon la direction de la police aux frontières.
« On est à 60 % des capacités du centre en raison des mesures Covid. Il y a un protocole strict, certains secteurs sont placés en septaine dès qu’il y a un cas, six retenus viennent ainsi d’en sortir ce dimanche », explique le chef du centre à la parlementaire. Parfois, les médecins du centre estiment aussi que la maladie n’est pas compatible avec la rétention et font sortir les patients.
Mais la plupart sont surtout en attente de leur expulsion, qui en cette période particulière, ne pourrait jamais arriver. « J’ai fait toute ma scolarité ici, de la maternelle au lycée, j’ai passé toute ma vie en France et l’Angola ne me reconnaît pas et c’est un pays que je ne connais pas. Je suis bloqué ici depuis quarante-cinq jours et je sais que je vais sortir et que le problème restera le même », témoigne auprès de la députée N.J.A., un jeune homme de 23 ans, entre les quatre murs gris d’une pièce sans âme.
Pas de vols, fermeture des frontières
Chérif lui est palestinien et se trouve enfermé depuis quarante-cinq jours. Dans l’attente de savoir ce qu’il adviendra de lui. « J’ai vécu dix ans en Allemagne et on m’a déjà renvoyé dans un pays qui n’était pas le mien. On sait bien que les frontières sont fermées, qu’on ne peut pas nous expulser. Moi depuis que je suis là, j’ai vu une seule personne repartir vers son pays », raconte-t-il.
Et c’est bien là le drame pour Bénédicte Taurine. « Vous êtes beaucoup ici sans perspective de sortie, certains parce qu’ils ne sont pas reconnus par les pays, mais aussi parce que les frontières sont fermées ou qu’il n’y a pas de vols. C’est une situation ubuesque, qui peut créer des tensions car les durées de rétention sont longues et sans horizon », déplore l’élue insoumise qui propose d’autres solutions, comme l’assignation à résidence.
Et si lors du premier confinement, le taux d’occupation était très bas, avec parfois seulement 10 retenus pour 126 places au total, là, avec la prise en compte des mesures sanitaires, la capacité est à son maximum confirment les responsables du centre. « Nous essayons de faire baisser les tensions, nous avons désormais un psychologue qui intervient sur place pour échanger avec les retenus », indique le directeur du centre.
Dans son local aux portes vitrées donnant sur la cour de promenade intérieure, cette nervosité, Léo Claus la perçoit chaque jour. Le coordonnateur de la Cimade au sein du centre de rétention voit passer des dizaines de cas dont il sait que « la rétention n’aboutira pas sur une expulsion ». « Depuis mars il y a eu plus de 500 personnes enfermées, pour 65 expulsions. Cela a généré énormément de coûts, de risques sanitaires pour les retenus et les personnes et une atteinte aux droits dans beaucoup de cas », conclut ce militant associatif.