EDUCATIONLes trois quarts des élèves « mentent » sur leurs fiches de renseignements

Rentrée scolaire : Embarrassés, les trois quarts des élèves « mentent » sur leurs fiches de renseignements

EDUCATIONUne chercheuse toulousaine a passé au crible les fameuses fiches de renseignements que les professeurs demandent aux élèves de remplir. Souvent gênés, 74 % des jeunes disent s’arranger avec la vérité
Hélène Ménal

Hélène Ménal

L'essentiel

  • Une chercheuse toulousaine a passé au crible les sacro-saintes fiches de renseignements que des professeurs font remplir aux élèves.
  • 74 % des jeunes avouent s’arranger avec la vérité.
  • Leur habileté plus ou moins grande à se faire mousser est source d’inégalités.

«Profession des parents, loisirs… ». C’est LE rituel de la rentrée. Pour nouer le contact avec leurs élèves, beaucoup de professeurs leur demandent – encore – de remplir une fiche de renseignements. Et la pratique n’est pas anodine d’après Audrey Murillo, maître de conférences en sciences de l’éducation. « Les professeurs ont souvent conscience que les élèves peuvent être embarrassés de répondre à des questions sur le contexte familial », explique la chercheuse toulousaine, qui a dépiauté 758 questionnaires anonymes qu’elle a fait passer à des lycéens puis mené des entretiens avec certains d’entre eux.

Airbus et « Cinquante Nuances de Grey »

Son travail pose surtout la question de la véritable utilité des fiches de renseignements. Car, conscients qu’on a jamais deux fois l’occasion de faire une bonne première impression, 74 % de ses « confidents » lui ont avoué avoir pris des libertés avec la vérité sur au moins une réponse au questionnaire. « Ils n’ont pas forcément envie de mentir mais pas forcément non plus envie de se livrer et de dire toute la vérité », souligne Audrey Murillo. Les élèves sentent bien que la profession des parents pèse lourd sur le jugement que le professeur va porter sur eux, alors ils déploient des stratégies. Comme cette jeune fille dont le père est agent d’entretien chez Airbus. Elle a écrit : « employé chez Airbus ».

Les loisirs aussi donnent lieu à des arrangements. Cette autre élève qui venait de lire Cinquante Nuances de Grey a préféré bien entendu indiquer à sa prof de français le titre de son avant-dernière lecture, plus convenable.

Des fiches sources d’inégalités

La chercheuse relève aussi que les fiches de renseignements peuvent être une source d’inégalités entre les élèves. Ceux qui sont « socialement ou scolairement défavorisés » ont tendance à enjoliver le volet familial. En revanche, ils répondent plus franchement sur leurs loisirs ou leur goût pour la matière. Ceux qui sont plus favorisés ont une plus grande aptitude à donner une bonne image d’eux-mêmes. « Ils connaissent les codes culturels des professeurs et les utilisent », remarque la chercheuse.

« En fait, les fiches reflètent davantage une habileté de l’élève à donner une bonne image de lui », conclut Audrey Murillo. Et cela peut générer des inégalités d’autant plus grandes que les psychologues ont identifié depuis longtemps un effet « Pygmalion » : un professeur persuadé de la possibilité de réussite scolaire d’un élève va inconsciemment mieux l’aider à y parvenir.


Notre dossier sur la rentrée scolaire

« Trahison »

Evidemment, tous les professeurs ne sont pas dupes. Dans une étude précédente, menée avec des collègues de l’université de Toulouse, Audrey Murillo a illustré le tact dont certains font preuve : par exemple en se contentant de l’âge et d’un bref calcul mental pour savoir si l’élève a redoublé plutôt qu’en l’obligeant à l’écrire noir sur blanc ; Elle est aussi tombée, « une fois » sur « la trahison » par excellence : « Un professeur qui, sans avoir prévenu au préalable, s’est mis à lire et commenter les fiches à haute voix »…

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