Nobel d'économie à Jean Tirole: «C'est le rêve absolu»
ECONOMIE•Le président de l'Ecole d'économie de Toulouse a reçu le prix Nobel d'économie pour son «analyse de la puissance du marché et de la régulation»...Béatrice Colin
A midi, lorsque l'Académie suédoise a tenté de joindre Jean Tirole, il était en train de préparer une demande de bourse. «J'ai loupé deux trois coups de fil. Vers 12h15, j'ai regardé, le 46 qui s'affichait.... la Suède. J'ai été étonné, il m'a bien fallu une demi-heure pour m'en remettre», raconte le nouveau prix Nobel d'Economie.
Accueilli par un tonnerre d'applaudissements, le président de l'Ecole d'économie de Toulouse (TSE) s'est montré ému devant ses collègues et étudiants. «C'est merveilleux, je ne vais pas bouder mon plaisir. Mon nom circulait, c'est vrai, mais des rumeurs il y en a tellement», a reconnu en toute simplicité cet ingénieur général des Ponts et Chaussées de 61 ans qui préfère parler de «travail d'équipe».
Jean Tirole est de ceux qui font l'unanimité. Lorsqu'on demande aux personnes qui le côtoient ce qui le définit, le mot modeste revient à chaque fois. «Il n'aime pas se mettre en avant, ce n'est pas un homme de médias. Comme tous les grands scientifiques, il a le doute chevillé au corps, il ne se contente jamais d'une vérité révélée», explique Bruno Sire, le président de l'Université Toulouse 1-Capitole pour qui ce Nobel «est le rêve absolu».
Un médaillé très accessible
Vous ne le verrez pas déambuler de studios de télévision en émissions de radio, ses heures Jean Tirole les réservent à la recherche mais aussi aux doctorants et à ses étudiants.
«Il s'implique dans la communauté, il discute avec les thésards, va aux séminaires comme les autres... surtout il aime vraiment ce qu'il fait. Il est aussi très intelligent, parfois on a l'impression qu'il se dédouble et arrive à être 100% sur tout», relève Astrid Hopfensitz, chercheuse à TSE. «C'est quelqu'un de très accessible, on peut lui parler facilement», enchaîne Iris, une étudiante de 5e année venue le féliciter.
Jean Tirole avait déjà un palmarès à faire rougir. Médaille d'argent puis Médaille d'or du CNRS, cet été il avait été cité parmi les chercheurs les plus influents au monde selon une étude de Thomson Reuters.
Mais cette reconnaissance, il ne la porte pas en bandoulière, ne sillonne pas le monde en portant la bonne parole. «Je ne passe pas ma vie à pousser des réformes, je suis un chercheur et je suis très heureux d'aller travailler tous les matins. Je lance des idées, j'espère qu'elles vont être utilisées à un moment.»
Union bancaire, permis à polluer
Et c'est parfois le cas. Pour l'heure, celle de proposer une taxe sur les licenciements n'a pas encore trouvé preneur. Mais ses travaux sur les droits d'émission de CO2 menés dans les années 90 avec son mentor Jean-Jacques Laffont ont fini par prendre corps.
«Le permis à polluer, dix ans après, c'est ressorti. La recherche, c'est sa passion. Il a eu aussi le courage de revenir en France alors qu'il était très reconnu aux Etats-Unis. C'est un moyen de montrer qu'on peut être à Toulouse et réussir», souligne sa femme, Nathalie.
A demi-mot, elle ne cache pas que l'année qui s'annonce risque d'être compliquée pour son chercheur de mari «qui ne s'appartenait déjà pas». Mais l'enthousiasme de Jean Tirole à parler d'union bancaire, de régulation des marchés et réformes de l'Etat pourrait l'amener à quitter à nouveau régulièrement la Ville rose. Avec l'ambition de mettre en avant «les capacités humaines de la France» et en particulier celles des chercheurs de son école d'économie.