Marcel, Gaston ou Aldo… C’est quoi le petit nom de votre pantalon ?
TENDANCE•De plus en plus de marques de vêtements, de chaussures ou d’accessoires, donnent des prénoms aux produits qu’elles mettent en venteClio Weickert
L'essentiel
- De plus en plus de marques de vêtements, de chaussures ou d’accessoires, donnent des prénoms aux produits qu’elles mettent en vente.
- La clientèle peut ainsi acheter une robe qui se nomme « Natacha », un sac à main « Claude » ou un jean « Gaspard ».
- « C’est une manière d’encourager la cliente à prendre soin de son vêtement, à le garder, le faire durer, voire à le transmettre », analyse Emmanuelle Hyson, styliste chez LeherpeurParis.
Comment s’appelle votre pantalon ? Marcel, Gaston, Tom ou Aldo ? Et votre robe ? Se nomme-t-elle Marla, Natacha, Claudia ou Clémentine ? Vous l’aurez peut-être remarqué dans les rayons de votre magasin préféré ou lors d’une visite sur votre boutique en ligne fétiche : les prénoms ont fait leur apparition sur les étiquettes.
Chez Promod, on peut s’offrir un skinny qui se nomme « Gaspard ». Chez Figaret, une chemise oversize est baptisée « Cassie » et chez Sézane, l’une des pièces phares de la maroquinerie répond au nom de « Claude ». Mais d’où sortent tous ces prénoms ? Et que gagnent les marques à baptiser consciencieusement leurs collections ? Un petit supplément d’âme et une proximité accrue avec la clientèle qui font toute la différence.
« Une valeur ajoutée au produit »
Ce sont dans les secrets de fabrication d’un vêtement que se trouve l’origine de cette tendance. « Quand la collection est créée par un directeur de création et les chefs de produit, souvent, ce n’est pas un numéro qui sert de référence mais un prénom », explique Corinne Denis, directrice de création dans le bureau de conseil LeherpeurParis. Généralement, cette identité « secrète » disparaissait ensuite lors de la mise en vente du vêtement. Mais, depuis quelques années, elle s’est imposée comme une nouvelle pratique du côté de la vente et du marketing. « Ce qui est nouveau, c’est que cela devienne une sorte de valeur ajoutée au produit, un élément de valorisation », ajoute-t-elle.
Chez Make My Lemonade, les vêtements et les accessoires portent des prénoms depuis sa création en 2015. Pour la marque parisienne inclusive, qui propose des collections aux éditions limitées, c’est aussi une façon de montrer son attachement au produit. « On passe tellement de temps à fabriquer chaque vêtement qu’on ne voyait pas comment les nommer autrement. On ne se voyait pas leur donner un chiffre, avance Simoné Eusebio, directeur de la communication. « Parfois, on s’amuse avec la sonorité du prénom, avec la forme d’un sac… On imagine un petit personnage et la façon dont il pourrait s’appeler. On essaye un peu de leur créer une personnalité. Il peut y avoir des débats aussi, en mode "Non, ce prénom ne lui va pas !" », s’amuse-t-il.
« C’est un peu le rite de passage à chaque fois »
Outre le fait de coller à la « personnalité » d’une robe ou d’un pantalon, le prénom doit aussi refléter l’image de la marque. Particulièrement tendance ces dernières années du côté des nouveau-nés, les vieux prénoms comme Louise, Suzanne, Marius et Oscar, pour ne citer qu’eux, ont aussi particulièrement le vent en poupe dans nos dressings. « Chez Sézane, par exemple, on est dans le choix de tous ces prénoms qui reviennent à la mode et ça raconte aussi une histoire de la marque », souligne Emmanuelle Hyson, styliste chez LeherpeurParis. Chez Rouje, qui prône une « allure féminine et sensuelle », les robes se prénomment notamment Sheila, Laly, Alma ou encore Elona.
Du côté de Make My Lemonade, on donne les prénoms des collaborateurs de l’enseigne. « C’est un peu le rite de passage. On pioche parmi les nouvelles personnes qui sont arrivées », précise le directeur de la com.
On retrouve ainsi un trench « Raoul », des boucles d’oreilles « Mathilde », une robe « Madison », une jupe « Elijah » ou encore une ceinture « Nour ». Un reflet de la composition de l’équipe à laquelle s’identifie aussi la clientèle. « On n’a jamais eu une remarque négative de la part d’une cliente. Elles étaient toujours contentes de voir qu’une pièce s’appelait comme elles. Dans la dernière collection, une robe se nommait Latifa et une cliente de 45 ans nous a écrit pour nous dire que c’était la première fois de sa vie qu’elle voyait son prénom sur un site », raconte Simoné Eusebio.
« C’est le contrepied de la fast-fashion »
Créer un fort sentiment d’attachement avec sa clientèle, quoi de plus précieux pour une enseigne ? Offrir une identité à un vêtement permet d’accroître cette proximité et participe plus globalement au storytelling de la marque. « Ce lien qui est créé avec le produit et cette attention particulière de lui choisir un prénom participe vraiment à l’histoire de mode du produit. On a l’impression que quand on l’achète, on va l’adopter », souligne la styliste Emmanuelle Hyson. Un champ lexical nouveau qui n’est pas sans intérêt. Ainsi personnifié, le vêtement se dote d’une valeur supplémentaire et n’est plus considéré comme un vulgaire objet. « Ça personnalise le vêtement et ça lui donne un peu une âme en quelque sorte, ce n’est pas juste un bout de tissu », reconnaît le directeur de com de Make My Lemonade.
Pour Emmanuelle Hyson, cela « encourage d’autant plus à prendre soin de son vêtement » et ça s’inscrit plus largement comme « le contrepied de la fast-fashion dont les gens ont marre ». « Ici, chaque produit a sa place, on prend le temps de le développer, il a un prénom », poursuit-elle. Elle ajoute : « Ce sont aussi des vêtements de plus en plus faits pour durer. Faire des vêtements intemporels, c’est le message de toutes ces marques : prolonger leur vie et tisser cet attachement émotionnel. C’est aussi une manière d’encourager la cliente à prendre soin de son vêtement, à le garder, le faire durer, voire à le transmettre. »
Fini le temps où l’on achetait compulsivement des fringues que l’on entassait dans nos placards. Désormais, on adopte toute une ribambelle d’amies faites de coton, de velours ou de soie. « Quand on arrive sur le site et qu’on voit tous ces prénoms, on a peu l’impression, même si c’est un grand mot, d’être dans une famille. Tu es plus facilement en confiance et tu les repères mieux, estime Simoné Eusebio. Et comme nous avons aussi l’aspect couture [Make My Lemonade propose à la vente les patrons de certaines pièces], elles n’ont même plus besoin de préciser que c’est une robe. Les clientes peuvent dire "je me suis cousue une Natacha". » Une phrase à ne pas prononcer hors contexte, au risque de passer quelques années à l’ombre.