Saké : Pourquoi les Français mettent de plus en plus de vin de riz japonais dans leur verre ?
KANPAI !•Alors que les salons se succèdent cet automne, le succès du saké lors de la dernière Japan expo prouve que la jeunesse s'est volontiers emparé de cette boisson fermentée en complément ou à la place du vinStéphane Leblanc
L'essentiel
- Contrairement aux idées reçues, le saké titre entre 14 et 20 degrés d’alcool et rentre pleinement dans la catégorie des vins puisque issu de la fermentation du riz et non pas d’une distillation.
- Par tradition, le saké se déguste chaud dans une tasse en bois ou dans une coupelle en céramique, mais les sakés modernes sont généralement appréciés frais et servis dans des verres à vin.
- Le « vrai » saké ou nihonshu ne vient pas que du Japon, mais de Chine, d’Australie, des Etats-Unis « où le fils de David Beckham s’est mis à en produire » souligne le « saké samouraï » Youlin Ly. Mais aussi d’Angleterre, d’Autriche, d’Italie et de France… Les sakés les plus haut de gamme sont japonais.
Et si le pays du vin devenait un jour le pays du saké ? On n’y est pas, mais dans aucun autre pays, l’intérêt pour le nihonshu, ce vin de riz japonais, ne s’est aussi nettement manifesté qu’en France depuis trois ans. En 2021, les importations de saké japonais ont atteint un volume de 438.363 litres, soit +65 % sur l’année 2019, dernière année de référence avant la pandémie.
A la Japan Expo l'été dernier, dix marques prestigieuses se sont adonnées à des démonstrations. D'autres vont avoir lieu en octobre au Salon du saké (Paris 15e), puis au Saké district au Whisky Live Paris (19e). « L’affluence est de plus en plus incroyable », témoigne Youlin Ly, qui les accueillent à chaque fois sur son stand de la Maison du saké. Ce restaurateur (Sola puis Erh, restaurants étoilés) est l’un des premiers en France à avoir cru dans le saké, dès 2006. Et il a reçu pour cela le titre officiel de saké samouraï décerné par les producteurs japonais en reconnaissance de son travail de sensibilisation.
Une boisson délicate, pas un tord-boyaux
Pour autant, en 2023, beaucoup de Français ne font toujours pas la différence avec l’eau-de-vie de sorgho servie en fin de repas pour dévoiler une femme nue au fond d’une tasse. Le nihonshu, le « vrai » saké japonais, n’a pourtant rien à voir. Ce n’est pas un alcool distillé, mais une boisson fermentée, dont le mode de fabrication s’apparente plutôt à celui du vin de raisin. Ou de la bière, puisque le riz est une céréale, comme le houblon.
Titrant généralement de 14 à 18 % du volume, cet alcool élaboré à partir d’un brassage d’eau et de riz avec des levures et des moisissures (le koji-kin qui transforme l’amidon du riz en sucre), le saké se distingue par sa grande finesse, sa diversité et sa capacité à accompagner les meilleurs repas.
La charcuterie en accord parfait
Il en existe de nombreux types, souvent capable de supplanter le vin en s’accordant avec des mets réputés difficiles : la charcuterie notamment. C’est la première chose que sert Mathieu Guérin chez Grain[s] : de belles tranches d’un jambon serrano (18 euros). Pour l’accompagner, un tokubetsu junmai (9 euros le verre) qui d’après lui, « se marie avec presque tout ». En novembre 2022, ce sommelier, passé par Mory Sacko et Thierry Marx, a ouvert avec le chef Julian Avila une cave à manger où les plats à la carte riment avec tous les vins, mais aussi avec le saké. « De toute façon, tout se marie avec le saké, clame-t-il. Les accords me viennent souvent plus vite qu’avec le vin. Par exemple, un saké sur des asperges sera plus intéressant qu’un sauvignon blanc qu’on propose habituellement. »
Chez Grain(s), le sommelier ne sait parfois plus où donner de la tête tant il est sollicité. Choisir un saké, c’est évidemment plus compliqué qu’un vin pour lequel on a des repères : région, appellation, couleur… « La couleur, c’est l’avantage du vin, souligne Youlin Ly, alors que le saké reste transparent, quoi qu’il arrive. »
Les modernes et les anciens
Pour faire simple, on opposera principalement les sakés modernes aux notes de fruits et de fleurs, qu’on boit frais, voire frappés, dans des verres à vin. Et les sakés traditionnels qu’on déguste plus volontiers à température ambiante, voire chauds. Lesquels privilégier ?
« Les premiers seront plus flatteurs, désaltérants, agréables à boire même sans manger, explique Youlin Ly. Les seconds seront plus opulents avec des notes de céréales, de terre humide, de sous-bois et une amertume qui peuvent se révéler magiques lors d’un repas. »
Comme le Mute muka junmai nama genshu (10 euros le verre) que Mathieu Guérin, sert chez Grain(s) avec un plat plus corsé de Lapin pressé, sauce poulette, vierge de pomme et baies de Jamaïque (16 euros). « Le saké, les Japonais disent que c’est un condiment qu’on ajoute dans une assiette, alors que le vin est là pour sublimer l’assiette ». Saké et moutarde, ou confiture d’oignon, même combat.
La jeunesse fait bouger les lignes
Combien sont-ils à Paris, comme Mathieu Guérin, capables d’offrir cette expertise au restaurant ? « On est une dizaine, tout au plus, reconnaît ce dernier. Mais ce qui est nouveau, c’est que les sommeliers qui apprécient le saké n’officient plus seulement dans les palaces, mais aussi dans des tables plus accessibles. »
« Le saké bouge en France et la jeunesse y contribue grandement, souligne Youlin Ly. Il y a une curiosité et une ouverture d’esprit des clients qui les incitent de plus en plus souvent à demander autre chose que ce qu’ils ont l’habitude de boire à la maison ou chez des amis. » Et de citer la vogue actuelle des sakés non filtrés qui rappellent les vins nature ou le saké Katori 90 (environ 35 euros), « qui ne contient que du riz polissé à seulement 10 % et de l’eau » apprécié des mêmes amateurs. Mais certaines bouteilles valent des fortunes. Les maisons les plus réputées parmi celles qu’on trouve en France : Dasaï, marque iconique dont les flacons se vendent entre 35 et 100 euros. Et surtout Takeno qui produit des sakés qui se bonifient avec l’âge et dont les prix s’envolent bien au-delà de 100 euros.
Le goût français pris au sérieux
« Les Français adorent donner leur avis et leur opinion est prise très au sérieux, poursuit Youlin Ly. Cela contribue à faire progresser la qualité des sakés distribués en France. » Ceux que l’on trouve aujourd’hui chez les cavistes ou dans les restaurants ne cessent de monter en gamme. Le junmai, la principale appellation qu’on trouve en France, est apprécié pour sa pureté puisque seuls les ingrédients de base sont utilisés dans son élaboration, sans aucun ajout. Mais il arrive que de l’alcool puisse être ajouté avant la filtration, auquel cas l’appellation change de nom. Wakaze, marque japonaise qui produit depuis 2019 du saké en France avec des ingrédients 100 % français, ajoute dans une de ses bouteilles une infusion de zests de yuzu qui plaît beaucoup. « Notre Yuzu saké s’accorde très bien avec des huitres, une viande blanche, du fromage », souligne Svetlana Mas, la sommelière de l’izakaya ouverte par la marque au cœur de Paris.
En phase avec leur époque, les deux jeunes entrepreneurs nippons Takuma Inagawa et Shoya Imai adorent les collabs, comme celle qui les a fait croiser Thierry Marx pour trois appellations, ou prochainement avec la marque de bière Gallia. « On a élaboré avec eux un saké à la bière et eux une bière au saké », s’enthousiasme Takuma Inagawa qui tient à rappeler que « le saké et la bière se ressemblent par leur mode de fabrication : brassage et fermentation ». Ils produisent aussi des sakés plus « classiques », avec du riz de Camargue, de l’eau parisienne filtrée et la même levure que pour les vins blancs de Bourgogne. Le résultat, ce sont des sakés moins forts en alcool que les sakés japonais : 12° contre 14 à 18°. « Ce n’est pas pour en consommer davantage, rassure Takuma Inagawa, mais cela nous ramène au vin et sa façon de le boire… »
Le saké français, plus simple et moins cher
Ces sakés made in France sont aussi moins chers que les sakés importés du Japon : à partir de 23 euros pour l’excellente cuvée The Classic, universelle et accessible, qui se marie notamment avec des œufs, des asperges ou des artichauts, tout ce qui poserait des difficultés avec le vin. « Il est très versatile, explique Svetlana Mas, la sommelière de Wakaze Paris. Par exemple, si vous avez une salade avec beaucoup d’éléments, ce saké sera le partenaire idéal, mais avec du poisson cru, il est parfait aussi », commente-t-elle.
La maison produit aussi un saké élevé dans des fûts de pinot noir : le Barrel saké red wine. « On est vraiment entre le saké et le vin, note Svetlana Mas. Il a une complexité et une texture charnue, mais il garde le côté très doux du saké » qui lui pourrait lui donner comme partenaire un porc confit ou une charcuterie.
Plus que ne le font les marques japonaises, Wakaze entend bien rendre le saké plus lisible en jouant la carte de la proximité avec le vin. « On ne parlera pas de blanc ou de rouge, mais on peut trouver des équivalences », insiste Takuma Inagawa. Pour les sakés japonais, mieux vaut quand même se fier à un sommelier spécialisé comme Mathieu Guérin chez Grain[s] ou à un caviste de confiance, comme on en trouve chez Youlin Ly à la Maison du saké.
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