En Algérie, les virées pédestres élèvent l’âme, au cœur du plus grand désert du monde
Sahara•Le Hoggar est le refuge séculaire des farouches Touaregs. Récemment rouvert aux voyageurs, ce désert de pierres aux paysages lunaires invite au mysticisme, sur les traces du Père Charles de FoucauldJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
Le Sahara est une terre de désolation, aussi belle que cruelle. Quand le vent tiède du désert ne trouve aucun obstacle pour arrêter sa course, il emporte tout sur son passage, ne laissant derrière lui que des roches disséminées à perte de vue sur un socle stérile. Ces étendues désespérément vides, où seuls les nomades Touaregs savent se repérer, s’arrêtent brutalement aux pieds du Hoggar. Dans le Grand Sud algérien, ce vaste massif chaotique, traversé par le tropique du Cancer, est resté longtemps fermé sur ses énigmes. Après une quinzaine d’années d’interdiction formelle, ses portes ont timidement rouvert fin 2022. Deux ans plus tard, les voyageurs sont enfin de retour.
Depuis la ville aux murs ocre de Tamanrasset, la plateforme de voyages sportifs Decathlon Travel propose des treks à la découverte de ce désert spectaculaire. L’aventure débute au sud-est du Hoggar, là où la chaîne de l’Atakor dresse ses pitons volcaniques à plus de 2.900 mètres d’altitude. Démantelées par un soleil implacable, ces forteresses de grès fauve surplombent des plateaux jonchés de pierres de basalte sur lesquelles la marche est un exercice constant d’équilibriste. Celui de l’Assekrem offre, au crépuscule, un des plus fantastiques panoramas du Sahara. C’est ici, dans une solitude absolue, que des Petits Frères de Jésus vivent leur foi, près de l’ermitage du Père Foucauld.
Ex-officier de cavalerie à la vie dissolue, Charles de Foucauld troqua l’uniforme pour la soutane en 1890. Son idéal de pauvreté et de pénitence le conduisit d’abord en Terre Sainte, où il devint moine trappiste, puis dans le Sahara algérien, où il se prit de passion pour une culture targuie jusqu’alors ignorée. Entrecoupée de retraites spirituelles dans le silence de son ermitage sur l’Assekrem, sa vie à Tamanrasset fut dédiée à la rédaction d’un dictionnaire touareg-français, qu’il acheva la veille de son assassinat, en 1916. Cette œuvre monumentale, qui se lit comme un hymne à la beauté de la création, reste une des plus vibrantes déclarations d’amour au désert et à ceux qui y vivent.
Les seigneurs du Sahara
D’innombrables générations de nomades ont régné sur ce royaume minéral. Les féroces Touaregs y ont dominé le commerce caravanier du sel durant plusieurs siècles. Mais le pouvoir des grands chefs, basé sur les razzias entre tribus, a été supplanté par celui de l’administration coloniale française au XIXe siècle. Puis est venu le temps des indépendances. Isolés dans de nouveaux États et éloignés des centres de décision, les Touaregs ont vu leur destin leur échapper, jusqu’à ce que les camions sonnent le glas des caravanes chamelières et que les sécheresses successives déciment leurs troupeaux. Autant d’épreuves qui provoquèrent une grande rébellion à travers tout le Sahara dans les années 1990.
Malgré ces déstabilisations, les « hommes bleus » restent fidèles à certaines traditions. La plus symbolique est l’offrande des trois thés, réalisée avec les mêmes gestes de la Mauritanie jusqu’au Niger. « Le premier est amer comme la vie, le deuxième doux comme l’amour, le troisième suave comme la mort. » L’affaire est sérieuse ! Elle nécessite deux théières en émail, un brasero et autant de petits verres que d’invités. Le thé est infusé, goûté, transvasé, amélioré, puis goûté à nouveau, avant d’être versé très haut pour le rendre mousseux. La cérémonie achevée, les Touaregs se recouvrent aussitôt la bouche. Leurs chèches, qui les protègent du soleil, dissimulent aussi leurs émotions. Car ils ne confient leurs passions qu’aux étoiles.
Si le désert n’a aucun secret pour eux, les Touaregs ne sauraient l’arpenter sans leurs précieuses montures. Aucun être vivant n’est mieux adapté à cet environnement extrême. Le dromadaire collectionne les records. Il est capable de passer une semaine sans boire et près d’un mois sans manger. Aussi fermes que du caoutchouc, ses lèvres ne craignent pas les épines d’acacia. Et les cals de ses genoux lui permettent de s’accroupir sur le sable brûlant. Sur les plateaux du Hoggar, la chaleur au sol grimpe jusqu’à 50°C en journée et chute à 0 la nuit. Une amplitude thermique qui favorise l’apparition de mirages. Mais habitués à ces illusions, les Touaregs ne se laissent jamais prendre au piège.
Vers son désert personnel
Les pluies décident de la vie et de la mort dans le désert. Épisodes aussi brefs qu’intenses, les orages peuvent transformer en quelques secondes des oueds à sec en torrents déchaînés. Frappée par un véritable déluge l’été dernier, la région de Tamanrasset déplore des dégâts considérables et plusieurs dizaines de victimes. Mais ces crues imprévisibles sont une bénédiction pour la nature qui se pare soudain de couleurs insoupçonnées. Les branchages accumulés au fond des oueds facilitent aussi la tâche des chameliers à chaque halte. Le feu de camp est le réconfort du désert. Autour du foyer, parmi les Touaregs, les randonneurs se retrouvent projetés dans une scène de tableau orientaliste.
Les premiers rayons du soleil réchauffent le bivouac encore engourdi par les températures glaciales de la nuit. Pendant que les voyageurs dégustent le pain, qui a été cuit la veille dans le sable couvert de braise, les chameliers chargent leurs dromadaires. Une centaine de kilos chacun. Puis la caravane se met en marche. Le paysage se renouvelle à chaque col. Après la chaleur terrible de la journée, la fraîcheur accompagne les ombres qui recouvrent le nouveau campement. Rituel immuable. Les chameliers défont les nœuds. Les charges tombent. Les dromadaires blatèrent de soulagement. Chacun se choisit alors un coin pour la nuit. Certains plantent leur tente sur un banc de sable. D’autres se contentent de dérouler leur sac de couchage pour profiter d’un hôtel aux mille étoiles.
Les astres qui brillent dans la nuit saharienne sont si nombreux qu’ils en gênent presque la lecture des constellations. Bivouaquer dans le plus grand désert du monde touche au mystique. Les longues heures de marche permettent, en effet, de faire le silence en soi. Au fil des jours, les randonneurs se dépouillent de leurs idées parasites et de leurs besoins superflus. Le Sahara finit par remplir leur espace intérieur. « J’ai toujours aimé le désert, écrit Antoine de Saint-Exupéry. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant, quelque chose rayonne en silence. » S’abandonner à la joie du moment présent. Telle est la leçon de vie que nous enseignent les nomades du Hoggar.
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