Suède : Échappée blanche chez les derniers éleveurs de rennes
Grand Nord•La Laponie suédoise compte parmi les derniers grands espaces naturels d’Europe. Aux confins du cercle polaire, les Samis connaissent et partagent tous les secrets de leurs forêts infiniesJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
Jadis réservé aux aventuriers, l’hiver lapon attire de plus en plus de vacanciers actifs. Les agences touristiques leur promettent d’y goûter aux plaisirs revigorants de la pêche sur glace, de la balade en raquettes, de l’expédition à motoneige et du raid en traîneau à chiens sous les aurores boréales. Mais il ne faut pas s’y tromper ! Le Grand Nord reste un territoire extrême où l’on ne doit s’aventurer qu’avec prudence. Des forêts silencieuses peuplées d’ours, d’élans et de lynx, des lacs gelés huit mois par an et une neige épaisse qui désoriente composent l’âpre beauté de l’immensité boréale.
La nébuleuse géographique que constitue la Laponie, appelée aussi Sápmi, couvre la partie septentrionale des pays scandinaves. Blottie au fond du golfe de Botnie, dans le Norrbotten suédois, Luleå est une des bourgades éparses qui donnent accès à cette région à peine apprivoisée. Pour l’explorer, mieux vaut donc être accompagné de guides locaux. Ne les appelez pas Lapons - lapp signifiant « haillons » est péjoratif –, mais Samis, ou Sâmes. Entretenant une relation fusionnelle avec la nature depuis cinq mille ans, ces derniers constituent le seul peuple autochtone du Grand Nord européen.
Ils sont encore quelques-uns à circuler en forêt sans se soucier des frontières. Leur nombre n’est donc pas facile à déterminer. On estime entre 75.000 et 85.000 les Samis répartis sur tout le Sápmi, dont environ 20.000 en Suède. Cette communauté ne forme pas une ethnie, mais un groupe culturel dont les coutumes sont officiellement reconnues. Leur langue, très riche en vocables pour qualifier la nature, traduit une attention toute particulière aux éléments. Quelque trois cents mots servent uniquement à décrire l’état de la neige !
Plusieurs organismes œuvrent à la protection de cette identité. Le plus important d’entre eux est le Conseil nordique, qui défend les intérêts économiques et culturels des collectivités lapones, réunies autour d’un drapeau commun. En Suède, les Samis possèdent leur propre Parlement, où les élus siègent trois fois par an dans leur costume ancestral. Leur drôle de leur couvre-chef à pointes, dit « des quatre vents », et leur tunique bleue aux broderies chatoyantes témoignent d’une joie de vivre qui contraste avec la nature sauvage et hostile qui les entoure.
La civilisation du renne
Le peuple sami n’aurait jamais pu s’épanouir à ces latitudes arctiques sans le concours précieux du renne. Venu du fond des âges, ce cervidé est un mammifère d’une rare rusticité. Frugal, il passe le sombre hiver polaire à grignoter des lichens et à gratter la neige pour trouver sa pitance. Puis il se réfugie en montagne où naissent ses petits, dans de grasses prairies, à l’abri des moustiques qui pullulent sur les basses terres dès les premières chaleurs.
Le renne est à la base de toute l’organisation sociale des Samis. Jusqu’au milieu du XXe siècle, beaucoup vivaient encore dans des kotas, des habitats légers dont l’emplacement suivait la migration des troupeaux semi-sauvages. À cette époque, les grands éleveurs pouvaient compter jusqu’à 5.000 têtes. Aujourd’hui, les plus riches familles en possèdent un millier. Mais ne demandez pas à un Sami la taille de son cheptel ! Cette question indiscrète pourrait le mettre dans l’embarras.
En Norvège et en Finlande, n’importe qui peut investir dans un troupeau de rennes. Mais en Suède, cet élevage est resté le domaine exclusif des Samis. Dans la forêt de Luleå, Cape Wild est un parc animalier qui permet aux visiteurs de se familiariser avec cette culture. « Nous devons tout au renne, et pas seulement sa viande » commente Suzanne Johnson tout en rassemblant ses bêtes. « Sa fourrure sert à nos vêtements, ses bois et ses os à nos outils. » Même de mauvaise humeur, le renne est un infatigable animal de trait. Les huit saisons lapones sont réglées sur ses déplacements. Et d’innombrables chants spirituels, les joik, lui sont mêmes consacrés.
Si les rigueurs du climat n’ont pu venir à bout des Samis, le confort de la modernité a tout de même influencé leur mode de vie. Les motoneiges, qui permettent d’aller surveiller les animaux puis de rentrer dîner au chaud, dans une maison en dur, symbolisent une forme de rupture. Les éleveurs en difficulté ont délaissé leurs troupeaux pour se faire employer dans les ports, les exploitations forestières ou les usines. Et ceux qui ont su résister aux lumières de la ville sont désormais rattrapés par la manne touristique.
Même reconverti en guide, un Sami reste heureusement un Sami, capable de trouver de quoi survivre en forêt, de construire un abri dans la neige et d’allumer un feu avec quelques brindilles. En balade en traîneau, il prendra toujours soin de prévoir une pelle, quelques peaux de rennes et un peu de viande séchée. Car, dans les solitudes glaciales du Grand Nord, on ne sait jamais quand le blizzard va se lever.
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