Tasmanie : L’évasion pédestre loin des sentiers battus
Antipodes•Appendice méridional de l’Australie, cette île à la nature intacte attire les voyageurs en quête de chemins dérobés, comme ceux qui traversent la péninsule de FreycinetJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
Une image de pays de Cocagne isolé aux confins du monde lui colle à la peau. Le seul État insulaire d’Australie n’a effectivement rien de commun avec le reste du pays, dont il est séparé par les 240 kilomètres du détroit de Bass. Baptisée en l’honneur de l’explorateur hollandais Abel Tasman, qui la découvrit en 1642, la Tasmanie - Tassie pour les intimes - ressemble de prime abord à une Angleterre des antipodes, vivifiée par les embruns.
En automne - notre printemps –, la limpidité de l’air confère à sa campagne une transparence d’aquarelle. Vergers, bourgades pimpantes et petits ports tranquilles cachent cependant une autre réalité : celle d’une contrée bien plus agitée. Seuls quelques kilomètres séparent Hobart, la capitale, d’une nature encore primitive. Ultime refuge avant les abîmes impitoyables de l’Antarctique, la Tasmanie est soumise au caractère tempétueux des quarantièmes rugissants. Pour autant, l’extrême beauté de ses paysages récompense largement les visiteurs qui osent braver les aléas météorologiques.
Kayak, rafting, canyoning, escalade, vélo… L’île fait la part belle aux activités de plein air. La marche reste toutefois la meilleure façon de rencontrer Tassie. Des treks itinérants, d’environ une semaine, permettent de s’enfoncer, à l’ouest de l’île, dans des zones privées de tout réseau de communication. Frenchmans Cap, Lake Oberon et Federation Peak comptent parmi les plus beaux circuits, mais aussi les plus exigeants en termes d’effort et d’équipement. Plus accessibles, des randonnées sur les sentiers parfaitement tracés de Cradle Mountain, Cape Hauy ou des péninsules de Tasman et Freycinet permettent de s’enivrer d’air pur, le temps d’une journée.
Un diable au paradis
La Tasmanie mérite bien son surnom de Natural State. Le créateur semble y avoir passé au shaker tout un assortiment de reliefs et d’écosystèmes. Ce territoire, aussi luxuriant que varié, abrite une des plus vastes étendues vierges au monde. Cette richesse, qui n’a pas échappé à l’Unesco, vaut à la « zone de nature sauvage de Tasmanie » son inscription sur la liste du patrimoine mondial. Sur plus d’un tiers de l’État, cet espace protégé englobe six parcs nationaux, qui sont autant de sanctuaires pour les eucalyptus géants, les mimosas, les lichens chevelus et autres mousses ruisselantes.
L’éloignement a favorisé l’évolution indépendante de nombreuses espèces animales, comme les étonnants échidnés et ornithorynques. L’île a aussi l’exclusivité de certains marsupiaux. Du lacis de la forêt pluviale, que n’arrivent pas à percer les rayons du soleil, retentit le cri rauque du plus célèbre d’entre eux : le diable de Tasmanie. Ce petit carnivore à la silhouette d’ourson doit son nom inquiétant à son comportement féroce, à sa mâchoire puissante et à la forte odeur qu’il dégage lorsqu’il est stressé.
Victime d’un cancer mortel, propre à son espèce, le diable fait l’objet de toutes les attentions. Sa population a chuté de 80 % ces trente dernières années ! Le surprendre en pleine nature est donc un privilège rare. Il est en revanche possible d’apercevoir d’autres fameux représentants de la faune locale à l’occasion d’une simple balade. Maria Island, notamment, est connue comme la « capitale des wombats ». Ces adorables marsupiaux aux airs de grosses marmottes partagent cette île protégée avec une colonie de petits kangourous peu farouches. Sur les plages de Bicheno, ce sont de joyeuses cohortes de manchots pygmées qui se laissent observer tous les soirs, lors de leur retour au terrier.
Effort et réconfort
Ancien port de pêche à la baleine, désormais tourné vers la langouste, Bicheno est la porte d’entrée de la péninsule de Freycinet. À l’est de la Tasmanie, ce promontoire isolé est protégé par un des parcs nationaux les plus anciens et les plus prisés des locaux. Dominé par des massifs de granit rose appelés Hazards, il est parcouru par différents sentiers familiaux, répertoriés parmi les « soixante meilleures petites balades de Tasmanie ». Celui qui mène au phare de Cape Tourville offre une magnifique introduction à la géographie côtière de la péninsule.
Lorsque les marins européens du XVIIIe siècle parvenaient en Tasmanie, épuisés par des mois de navigation, l’île leur apparaissait comme un enchantement. Un sentiment similaire de plénitude étreint le cœur du randonneur lorsqu’il découvre Wineglass Bay au terme d’une ascension sportive sur les reliefs des Hazards. Uniquement accessible à pied ou en bateau, cette baie « Verre de vin » est une des icônes esthétiques du pays. Difficile d’imaginer ce cadre idyllique en scène d’atrocités ! Son nom, pourtant, ne fait pas référence à sa courbure parfaite, mais à la couleur de vin rouge que prenait son eau lorsqu’elle servait encore de base aux chasseurs de baleines.
Freycinet, Tourville, Thouin, Forestier… La toponymie de la péninsule a des consonances familières pour nous. Avant que les Anglais n’installent leur première colonie sur l’île, en 1803, de nombreuses expéditions françaises avaient exploré et nommé ses rivages. Faut-il y voir un lien avec la passion des Tasmaniens pour le vin ? Au nord du pays, dans la région de Launceston, une succession de vignobles produit des nectars qui s’accordent à merveille avec les mets locaux, comme la tourte à la viande de wallaby ou le fish and chips à base de barramundi. Il faut dire que Tassie a le goût des bonnes choses. De quoi se faire plaisir après avoir crapahuté !
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