« C’est tellement compliqué d’apprendre à être soi », estime le romancier Baptiste Beaulieu
interview•Dans « Je suis moi et personne d’autre », le médecin généraliste et romancier Baptiste Beaulieu se penche sur l’importance de s’affirmer dès l’enfancePropos recueillis par Clio Weickert
L'essentiel
- Début septembre, Baptiste Beaulieu a dévoilé son 3e album jeunesse intitulé Je suis moi et personne d’autre, aux éditions Les Arènes. Un livre illustré par la dessinatrice Qin Leng.
- A travers le regard du jeune Francisco, ce médecin généraliste et romancier très suivi sur les réseaux sociaux, aborde l’importance de savoir dire non et de poser des limites.
- « Quand on est enfant, on ne veut rien sacrifier à l’amitié, on veut appartenir à un groupe et ne pas être seul, quitte parfois à s’oublier soi-même », souligne-t-il auprès de 20 Minutes.
«Et toi, c’est quand la dernière fois que tu as dit "non" ? » C’est la question que nous lance le jeune Francisco dans le livre Je suis moi et personne d’autre (Les Arènes). A l’école, ce petit garçon sensible, qui n’aime pas embêter les filles et préfère la corde à sauter au foot, a lui-même beaucoup de mal à poser ses limites, de peur de ne pas être aimé. Mais à force de dire « oui » à tout et de vouloir ressembler aux autres, Francisco découvre qu’on oublie peu à peu qui on est.
Dans ce 3e album jeunesse destiné aux enfants « de 5 à 99 ans », Baptiste Beaulieu, médecin généraliste et romancier aux 400.000 abonnés sur Instagram, se penche sur l’importance d’affirmer son identité dès le plus jeune âge. Si savoir dire Non est un long apprentissage, l’auteur rappelle également qu’on a tout à gagner à « être soi et personne d’autre ».
Ce livre s’adresse-t-il aussi bien aux enfants qu’aux adultes ?
Quand on est enfant, on ne veut rien sacrifier à l’amitié, on veut appartenir à un groupe et ne pas être seul, quitte parfois à s’oublier soi-même. Mais de petites concessions en petites concessions, on finit par devenir quelqu’un d’autre plutôt que soi. Et malheureusement, je crois que c’est un problème qui touche aussi les adultes.
Ce personnage de Francisco, qui a peur de ne plus être aimé en disant Non, c’est vous enfant ?
C’est absolument tout le monde. En grandissant, on s’aperçoit à quel point c’est futile et qu’il vaut quand même mieux commencer par être bien dans ses propres baskets plutôt que d’essayer de faire rentrer nos pieds de force dans les chaussures des autres. Ces albums sont bien entendu aussi des petits rappels que je m’adresse parce qu’on peut vite se perdre dans la vie d’adulte.
Dans cette histoire, il est aussi question de respecter la différence, comme c’était le cas dans votre livre précédant « Les gens sont beaux ». Avez-vous beaucoup souffert de l’intolérance et du regard des autres ?
Comme n’importe qui mais c’est vrai qu’il y a quelque chose d’un peu plus spécifique chez l’adolescent et l’enfant que j’ai été, de la découverte de son homosexualité. C’est évidemment quelque chose qui nous pousse à épouser certaines causes plutôt que d’autres. C’est compliqué d’éprouver de la discrimination, de subir des stéréotypes, des préjugés, et de ne pas finir un jour pour vouloir combattre des préjugés qui touchent d’autres groupes de population.
C’est lors de vos études de médecine, face à un professeur tyrannique, que vous avez commencé à savoir poser des limites. Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire à ce moment-là ?
La découverte très étrange que les gens ne vous respectent pas forcément moins le jour où vous posez des limites. C’est même plutôt l’inverse qui peut arriver. Pour moi, ça a été une découverte extraordinaire parce que pendant des années j’ai dit Oui par peur de déplaire, d’être exclu et de mécontenter l’autre.
« Les adultes nous disent : tu as le droit d’avoir ton avis juste à toi. Mais ils ne donnent pas le mode d’emploi », constate Francisco. Selon vous, ce serait crucial d’apprendre dès l’enfance à ne pas céder à la pression sociale et au conformisme ?
Il y a quelque chose d’important dans l’idée de savoir distinguer ce qui est de l’ordre du non-superflu et du non fondamental. Il y a une période chez l’enfant où il dit beaucoup "non", ça énerve les parents et pourtant cette période est fondamentale, c’est précisément le moment où il se découvre autonome et capable d’exercer sa propre principauté. Je crois qu’il faut aussi cultiver chez l’enfant une capacité d’autocritique et de critique tout court. C’est tellement compliqué d’apprendre à être soi, autant le faire le plus tôt possible.
Faudrait-il au contraire les encourager à affirmer leur individualité ?
Entretenir chez l’enfant sa capacité à dire "non", c’est d’abord entretenir chez lui une capacité à poser des limites. C’est très important parce qu’un enfant est ce qu’il y a de plus vulnérable. Nous sommes une société qui n’aime pas les enfants. Par exemple, il suffit de voir lorsqu’un enfant n’est pas bien dans un train, les gens qui lèvent les yeux au ciel et soufflent. Mais en fait, un enfant est un trésor et la société devrait les considérer comme ce qu’ils sont, c’est-à-dire la société de demain. Il faut les protéger, faire en sorte que leur enfance se passe au mieux et leur inculquer le plus de bonnes valeurs possibles.
Que gagne-t-on à savoir dire non et ne pas plier face aux normes de la société ?
Etre notamment capable de s’opposer parfois au collectif. C’est fondamental parce qu’il a quelques fois tort et a tendance à éteindre la flamme de l’individu. L’album se termine par une question posée aussi aux adultes : c’est quand la dernière fois que vous avez dit "non" ? C’est tellement facile de perdre son "non"et son âme à un certain âge : avec son patron au boulot, son mari, les tâches ménagères, professionnelles, les rendez-vous médicaux pour les enfants… On est submergé et on finit par se rendre compte qu’on ne sait plus dire "non" parce qu’on pense que c’est un mot qu’on ne mérite plus.
Quels conseils pourrions-nous donner aux petits et aux plus grands pour ne plus avoir peur de s’affirmer ?
Je pense qu’il faut les valoriser, tout simplement. Leur dire qu’ils sont très bien comme ils sont et n’ont pas besoin d’espérer être quelqu’un d’autre. Ils sont comme ils sont et ont tous les talents nécessaires pour être eux et personne d’autre.
Sur Instagram, vous faites parfois part des nombreuses peurs qui vous assaillent depuis la naissance de votre enfant. Est-ce que cette question en fait partie ?
Je voudrais lui offrir la meilleure des vies possibles. Ça passe aussi par lui apprendre à respecter les autres et leurs histoires, tel que je le racontais dans Les gens sont beaux. Prendre le monde entier tel qu’il est, avec les bonnes et les mauvaises choses, comme je le disais dans On a deux yeux pour voir. Et aussi savoir qu’il est bien tel qu’il est et n’a pas besoin de ressembler à quelqu’un d’autre.
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