Dans les escape game, « La réalité virtuelle, ça n’intéresse pas les familles »
totale immersion (5/5)•Les escape games ont aussi connu la révolution de l’immersif
Propos recueillis par Benjamin Chapon
L'essentiel
- «Immersif » par-ci, « immersif » par-là, depuis quelques années, ce concept est mis à toutes les sauces, que ce soit pour des divertissements, des loisirs, mais aussi des expériences de la vie quotidienne ou professionnelle.
- Cet été, 20 Minutes essaye de percer les secrets du tout immersif qui a envahi nos vies à travers une série d’articles.
- Aujourd’hui, nous allons à la rencontre de l’inventeur des premiers escape games immersifs, David Harari.
Depuis une dizaine d’années, la folie des escape games ne se dément pas. Ces lieux où les visiteurs sont invités à cogiter, en équipe, pour résoudre des énigmes ont conquis Paris, comme la plupart des grandes métropoles mondiales. A ceci près que Paris est la ville qui compte le plus d’escape games par habitant. Il y en a littéralement pour tous les goûts.
Cette tendance de fond a, bien entendu, rencontré, assez frontalement la tendance de « l’immersif » que 20 Minutes décrypte cet été au travers d’une série d’articles. Cela a donné naissance aux « escape games immersifs » développés par Dama Dreams, studio de création indépendant. Son cofondateur David Harari nous explique la genèse de ce concept à succès.
Comment est né le concept d’escape games immersifs que vous avez inventé ?
Je ne sais pas si on l’a inventé… On a imaginé une aventure immersive. Comme on faisait déjà des escape games « classique », on l’a appelé comme ça. Mais au début on parlait de « deep game ». Comme les clients continuaient de dire « escape game », on a décidé d’y ajouter le terme « immersif ».
Par immersif, on imagine souvent de la réalité augmentée ou virtuelle, des dispositifs technologiques…
Ce n’était pas du tout notre parti pris. Dans nos escape games, on a toujours peaufiné les détails et les décors. Il faut que les gens manipulent vraiment des objets pour que ça marche. Un escape game classique doit forcément être immersif. Mais on a voulu aller plus loin pour que les gens s’y croient vraiment, qu’ils jouent un rôle et que les énigmes soient en lien avec le thème. Et pour ça, on a imaginé de très grands espaces avec des acteurs.
Qu’apportent les comédiens en chair et en os par rapport à des écrans ?
La réalité virtuelle, ça n’intéresse pas les familles. Les gens veulent de la vraie interaction avec le décor et entre eux. Notre ambition était de créer des mondes ouverts où chaque joueur créé sa propre histoire. On laisse beaucoup de liberté aux joueurs et les acteurs permettent de cadrer un peu tout ça, avec leur capacité d’adaptation, d’improvisation.
Vos escape games sont plus grands que la moyenne alors que de nombreuses expériences dites « immersives » profitent des nouvelles technologies pour donner des impressions d’espace.
Oui, c’est un peu paradoxal mais c’est comme ça… Nos expériences immersives sont dix fois plus grandes que des escape games classiques. Batman Escape est le plus grand escape game en France avec 3.000 m2.
Avant Batman, votre premier escape game immersif était consacré à la série de Canal+ « Le Bureau des légendes ». Pour opter pour des univers déjà connus ?
On est opérateurs d’escape games classiques à Deauville. Quand on s’est lancé à Paris, on a choisi d’opter pour des licences de marque pour nous différencier. Le Bureau des légendes ou Batman ont des communautés de fans sur lesquels on peut d’appuyer. Et très vite on s’est rendu compte que ce serait dur de faire vivre ces univers sans comédien : les licences ont besoin d’être incarnées. On a créé des personnages secondaires, et les joueurs sont les personnages principaux. Pour Le Bureau des légendes, on a les voix du casting original, on a Mathieu Kassovitz qui donne leur mission aux joueurs. Pour Batman, on a la voix française de Batman et on s’appuie sur les vilains historiques.
Les escape games immersifs ne plaisent pas à un certain type de public. On lit même des retours de joueurs qui estiment que ce ne sont pas des escape games parce que les intrigues sont trop faciles.
Oui, les joueurs d’escape game classique n’y trouvent pas forcément leur compte. On a choisi d’innover, d’aller plus loin sur le marché. Les pros de l’escape game en ont fait 150, c’est difficile de les surprendre. On a constaté que, en général, personne ne se souvient du nom de l’escape game qu’il a fait. Le thème, un peu, le lieu, pas beaucoup non plus… Alors que nous, nous avec des franchises et des lieux très identifiés, ça nous aide. On fonctionne beaucoup grâce à ce bouche-à-oreille.
Partout où la mode de l’immersif passe, les coûts explosent. C’est aussi le cas avec les escape games immersifs ?
Ce qui coûte cher, par rapport à un escape game classique, ce sont les lieux et les comédiens. Donc chez nous, le ticket moyen est plus élevé, bien sûr. Mais l’expérience est aussi plus longue. Ce qui prend de la place, ce sont aussi les espaces complémentaires. Sur Batman Escape, on a créé un grand bar de Gotham City, avec différents jeux, et où les joueurs peuvent débriefer, prolonger l’expérience, se prendre en photo… On a aussi une grosse boutique avec plein de produits Batman exclusifs. On est un peu sur le modèle de certains parcs d’attractions thématiques.
Une boutique, ce n’est pas vraiment de l’immersif…
Si, quelque part. Notre lieu permet de vivre, entre amis, en famille ou avec des collègues de travail, un moment dans un univers. L’immersion chez nous marche de manière collective, il faut qu’un groupe joue le jeu. C’est pour ça que les comédiens sont utiles, ils sont vigilants à ce que tout le monde participe, même les timides. On donne une clé à chaque joueur. C’est pour ça aussi qu’on ne mise pas trop sur la technologie, qui exclut pas mal de monde. Un escape game, tout le monde doit pouvoir le faire. On utilise la projection mapping interactive sur les murs pour recréer l’univers extérieur de Gotham City, pour susciter cet effet « waouh » que les gens attendent d’un escape game qui se dit immersif. Mais ça s’arrête là.
Est-ce que les escape games immersifs vont ringardiser les classiques selon vous ?
Je ne pense pas. On arrive à une maturité du secteur après une phase où il y avait énormément d’ouverture. Certains lieux ferment mais les escape games classiques ne vont pas disparaître. Pour se lancer aujourd’hui, il faut proposer des produits différenciants et à grande échelle, viser à la fois le grand public et les entreprises. Peu importe s’il a le label « immersif » ou pas finalement…
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