Nuits des étoiles 2024 : Isolé mais jamais seul, il vit dans l’observatoire le plus haut de France
Astro perchée•Sébastien Brouillard, responsable de l’observatoire de Saint-Véran (Hautes-Alpes) niché à quelque 3.000 mètres d’altitude, l’occupe à l’année dans des conditions parfois extrêmesManon Minaca
L'essentiel
- Depuis 2019, Sébastien Brouillard est le responsable de l’observatoire Paul Felenbok de Saint-Véran, où il vit quarante-six semaines par an pour accueillir les visiteurs venus observer les étoiles.
- A près de 3.000 mètres d’altitude, sa vie est dictée par les saisons, notamment par l’hiver très rude qui le rend totalement dépendant des éléments et de la météo.
- Malgré un rythme intense et des conditions de vie difficiles qui le tiennent éloigné de sa famille, ce travail un peu particulier lui convient à merveille.
«Ce n’est clairement pas fait pour tout le monde. » Sébastien Brouillard, astronome amateur, vit de sa passion d’une manière un peu spéciale. Depuis quatre ans, il vit seul perché à 2.989 mètres d’altitude, à la manière d’un gardien de refuge. Sauf que son refuge n’en est pas un : c’est l’observatoire Paul Felenbok de Saint-Véran, dans les Hautes-Alpes, dont il est responsable. Coupé du monde à quatre heures de marche du village l’été, il mène une vie atypique, isolé mais jamais seul : cette année, il aura accueilli 1.600 visiteurs dans son antre, ouvert presque toute l’année pour des nuits d’observation des étoiles et du soleil.
Une grande partie de son temps est consacrée à l’entretien quotidien du bâtiment, l’observatoire le plus haut de France, niché juste en dessous du pic de Château-Renard. Le matériel d’astronomie, à commencer par les télescopes, nécessite « un entretien régulier : nettoyer les miroirs, repositionner les axes de rotation, réaligner les miroirs… », énumère l’astronome de 46 ans. Sans compter les « conditions environnementales », qui font souffrir le matériel : « Il y a des câbles à changer régulièrement, il faut gérer les orages quand il y en a, remplacer le matériel qui a cassé, déneiger pendant l’hiver… Il y a toujours quelque chose à faire. »
Le rythme des quatre saisons
Car s’il y a un maître dans son organisation, ce sont bien les saisons. Son année est rythmée par l’hiver, qui représente « huit mois sur douze » : même l’été, qui dure de mi-juin à mi-octobre, est consacré, en dehors de l’accueil du public, à préparer la saison froide. Gestion des stocks, notamment d’eau « car on est reliés à rien du tout », entretien des groupes électrogènes et du réseau de gaz… Tout y passe pour s’assurer de « passer l’hiver dans de bonnes conditions ».
Une préparation nécessaire, si ce n’est vitale, pour endurer les longs mois enneigés, pendant lesquels la température est comprise entre -20 et -25 °C, voire moins par moments. « Il faut bien endurer le froid », glisse Sébastien. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il le supporte bien : « C’est du froid très sec, donc jusqu’à -20, si tu te couvres bien, ça passe ! » sourit l’astronome.
« Tributaire des éléments »
Les conditions sont d’autant plus rudes l’hiver que l’observatoire « est loin de tout », sans possibilité d’accès en voiture à cause de la neige. « Pour monter, c’est forcément en skis de randonnée ou en raquettes », décrit le responsable de l’observatoire, qui évoque une ascension d’environ quatre heures. « Mais je la fais en à peu près une heure… » Ce qui lui permet de descendre au village « environ une fois par semaine », notamment « pour les courses de frais », si les conditions le permettent.
« L’hiver, c’est vraiment au jour le jour, constate Sébastien. Si je veux descendre mais qu’il y a du vent, il y a une congère de 1 ou 1,50 mètre, donc il faut tout déneiger. Un autre jour, il fait très froid, des choses cassent et il faut les réparer. » Sans compter les risques d’avalanche : « En une nuit, il peut tomber entre 2 et 3 mètres de neige d’un coup et, derrière, il faut plusieurs jours pour que le manteau neigeux se stabilise, donc je reste coincé là-haut. » Moralité : « On peut prévoir des choses, mais on est très tributaires des éléments. On relativise beaucoup de choses en étant ici », philosophe Sébastien.
Le responsable de l’observatoire ne s’ennuie pas pour autant. « J’ai des gens qui montent tous les jours, donc en plus du déneigement quotidien, je gère le public », décrit-il. Ce qui implique d’accueillir les visiteurs, mais aussi d’assurer l’animation des séances d’observation en pleine nuit et au lever du soleil, au prix de nombreuses heures de sommeil. « J’ai la chance de ne pas avoir besoin de beaucoup dormir », s’amuse Sébastien.
Une vie à 1.000 à l’heure
Et heureusement : depuis janvier 2023, l’observatoire est ouvert aux visiteurs dix mois par an. Il ne ferme ses portes qu’en mai et de début novembre à mi-décembre, quand le terrain est très peu praticable et le temps mauvais. « Sur ces périodes-là, je viens, mais je reste seulement quelques jours à chaque fois, pour faire pas mal d’entretien au niveau des télescopes et du bâtiment », décrit le responsable du lieu, qui passe ainsi quarante-six semaines par an à l’observatoire.
Ce rythme laisse peu de place à la vie de famille pour l’astronome, dont la femme et les deux enfants adolescents vivent plus bas dans la vallée. « On a trouvé notre mode de fonctionnement. Quand je descends, j’essaye de passer un maximum de temps avec eux, et quand les enfants sont en vacances, c’est eux qui viennent passer du temps avec moi là-haut », explique Sébastien. Si l’observatoire n’était ouvert qu’en été et à l’automne quand il a pris son poste, celui-ci évoque « une décision réfléchie en famille » : « On en avait discuté entre nous au départ, parce que c’était anticipé que le but était de pérenniser le poste à l’année. »
« Je ne me verrais pas faire autre chose »
L’histoire de Sébastien avec l’observatoire remonte à la fin des années 1990, quand il y est venu avec son club d’astronomie de Paron (Yonne), dont il est originaire. Il vient s’installer dans les Hautes-Alpes en 2000 et, pendant une dizaine d’années, il travaille à Paul Felenbok en intérim pour accompagner les groupes qui s’y rendaient, avant de prendre ses distances à l’arrivée de ses enfants. En 2015, l’association Astro Queyras, qui gère l’observatoire avec la commune de Saint-Véran, lui propose de venir y travailler à temps plein. « J’ai décliné pendant un moment, parce que je disais que les enfants étaient petits, et puis, en 2019, les enfants avaient grandi, donc on a décidé que je pouvais venir ici. »
Il vit donc à l’observatoire depuis l’été 2020, pour une vie qui lui convient bien. « Le cadre me plaît vraiment beaucoup, et j’ai l’impression de faire avancer les choses avec l’ouverture de l’observatoire l’hiver, c’est gratifiant. » Sans compter « le contact avec les visiteurs et les amateurs qui montent », qu’il trouve aussi auprès de son équipe de 18 animateurs, dont au moins une personne est toujours présente l’été. « Pour l’instant, je ne me verrais pas faire autre chose », conclut l’astronome.
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