Empowerment« Le porno éthique donne du pouvoir », estime la réalisatrice Erika Lust

« Le porno éthique donne du pouvoir aux femmes », estime la réalisatrice Erika Lust

EmpowermentA l’occasion de ses vingt ans de carrière, Erika Lust revient pour « 20 Minutes » sur son parcours de réalisatrice de films porno éthiques
Erika Lust : « Le porno éthique peut être émancipateur »
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

L'essentiel

  • Réalisatrice, la Suédoise Erika Lust est une pionnière et une star du porno éthique et féministe.
  • A l’occasion de ses vingt ans de carrière, elle publie « ERIKA LUST ARCHIVES 2004-2024 », un ouvrage qui fait voyager en images à travers son parcours, ses films et son univers.
  • L’occasion pour Erika Lust de revenir avec « 20 Minutes » sur son parcours, l’évolution du milieu du porno éthique et mainstream, et sur ses aspirations.

Filmer du porno, ce n’est pas le choix de carrière auquel Erika Lust pensait quand elle était encore étudiante en sciences politiques. Pourtant, aujourd’hui, la réalisatrice star est la référence mondiale du porno éthique et féministe. Et célèbre aujourd’hui ses vingt ans de carrière.

A cette occasion, elle publie « ERIKA LUST ARCHIVES 2004-2024 », un voyage photographique de 200 pages à caractère (s)explicite et sensuel dans lequel elle revisite son parcours et ses films, et rend hommage à tous ceux et celles avec qui elle collabore : performers, directrices de la photographie, scénaristes et autres réalisateurs de la galaxie Lust. Vingt ans d’une carrière où cette pionnière a fait bouger les lignes d’un milieu fermé, et prouvé que les femmes y ont une place nécessaire au sommet.

Une démarche féministe

Comment Erika Lust a-t-elle eu l’idée de se lancer dans le porno éthique ? « J’étais moi-même consommatrice, répond-elle. Mais c’était difficile de trouver du contenu satisfaisant, qui ne soit pas centré que sur le plaisir masculin, qui ne soit pas misogyne et raciste, et qui me procure réellement du plaisir. Alors je me suis dit un jour : "pourquoi ne pas réaliser moi-même les films que j’aimerais voir ?" Même si je venais d’un autre univers, que je ne connaissais rien à cette industrie et ne savais pas comment faire un film, j’avais envie de voir s’il était possible de faire du porno autrement, qui s’adresse d’abord aux femmes, qui mette en scène leur désir, leur plaisir et leur jouissance ».

Son tout premier film, elle le tourne chez elle, dans l’appartement qu’elle partage avec son mari à Barcelone. « J’ai démarré de manière très artisanale, je ne savais même pas manier une caméra, raconte-t-elle. Quand je le regarde, d’un point de vue esthétique, technique, il y a beaucoup de choses que je ferais différemment aujourd’hui, mais j’en suis fière, parce qu’il est centré sur le désir et le plaisir féminins ».

Un engagement éthique

Si aujourd’hui, Erika Lust a réussi à bâtir un empire et une communauté forte autour du porno éthique à travers sa plateforme de streaming, il y a vingt ans, quand elle a débarqué dans le métier, elle a été accueillie « avec beaucoup de suspicion ! Quand j’ai contacté une agence pour trouver des performers pour mon premier film, on m’a répondu : "Où et quand vous les envoie-t-on ?" Je leur ai dit que ce n’était pas comme ça que je travaillais. Je voulais leur parler d’abord, savoir pourquoi ils faisaient ce travail, ce qu’ils aimaient ou pas, quelle sexualité pratiquaient-ils, avec qui ils aimeraient travailler. Ils m’ont regardée comme si j’étais une alien ! Je posais trop de questions. C’est là que j’ai compris à quel point cette industrie ne se préoccupait pas des gens. Et que ma démarche féministe devait se doubler d’un engagement éthique ».

Erika Lust le martèle : « Sans les performers qui mettent leur corps et leur sensibilité au service des films créés, notre travail n’existe pas ! Veiller à leur juste rémunération, au respect de leurs préférences, recourir à des coordinateurs d’intimité, penser à assurer leur bien-être, c’est au cœur de cet engagement éthique. Tout comme le fait de représenter à l’écran une diversité de corps, d’âges, de couleurs, de genres, de sexualités, dans laquelle chacun et chacune peut se retrouver ».

Une démarche évidente pour elle, et pour les 61.000 abonnés de sa plateforme. Et qui, petit à petit, a infusé jusque dans l’industrie du porno mainstream, celui des plus gros sites qui attirent encore la majorité des consommateurs. « L’industrie évolue, jusque chez les gros poissons du porno mainstream : en observant notre manière de travailler, ils ont compris la nécessité d’avoir de meilleurs standards, d’établir une sorte de charte qui pose les bases des conditions de travail saines et équitables avec les performers, se réjouit Erika Lust. L’influence du porno éthique sur le porno mainstream est une victoire ! Mais il reste encore beaucoup de chemin : le porno éthique devrait être la norme ».

« Il faut payer pour son porno »

En attendant, la réalisatrice poursuit son combat féministe et éthique et plaide pour un accès payant au porno. Pourquoi ? « L’accès sans contrôle à ces plateformes gratuites et ouvertes à tous, c’est ce qui rend le porno potentiellement dangereux, insiste-t-elle. Il y a sur les gros sites des mineurs qui n’ont rien à y faire, et qui y découvrent une représentation fausse et problématique de la sexualité. Car le problème du porno n’est pas tant qu’il montre du contenu à caractère sexuel, c’est le message qu’il véhicule quand il est réalisé sur des standards racistes, misogynes et violents. C’est ce porno-là qui suscite l’inquiétude des parents et des politiques, face à une industrie qui elle-même ne se préoccupe pas du problème », déplore-t-elle.

Dans une démarche « qui garantit des conditions de travail éthiques et respectueuses des travailleurs du porno, qui propose du contenu qui représente une diversité de corps, de genres et d’identités sexuelles, et pour tenir à l’écart les plus jeunes, le contrôle devrait se faire par la barrière du paiement, propose-t-elle. C’est la meilleure manière de réserver ce contenu aux seuls adultes. Et aussi de rémunérer ce travail, qui doit être payé comme tout autre. Si les gens sont prêts à payer pour Netflix et des chaînes sportives, pourquoi ne payeraient-ils pas leur porno ? »

Choisir le bon porno

Mais s’il y a du mauvais porno, comment savoir choisir le bon ? « Cela requiert d’avoir un esprit critique, d’éviter les représentations négatives de la sexualité, pour aller vers du porno qui permet d’explorer sa sexualité, qui vous fait vous sentir bien, conseille Erika Lust. C’est simple en réalité : c’est comme savoir faire la différence entre la malbouffe qui rend malade et une nourriture saine qui apporte au corps ce dont il a besoin ». En pratique, Erika Lust le sait : « la majorité des consommateurs sont des hommes cis hétérosexuels. On a besoin d’éveiller leur conscience, qu’ils comprennent que s’ils vont en ligne sur des plateformes où les performers sont catégorisés par couleurs de peau, orientations sexuelles, âges, avec de très jeunes femmes présentées comme des adolescentes, ce n’est pas sain ».

Si sa plateforme en ligne séduit femmes et queers, Erika Lust compte aussi une large part d’hommes parmi ses abonnés. « Cela surprend, pourtant ils aiment nos contenus éthiques, féministes et inclusifs, qui les font déjà changer leur attitude envers les femmes, observe la réalisatrice suédoise. En cela, le porno est très politique, c’est un média qui fait évoluer nos représentations, nos valeurs, et qui influe sur notre manière de penser et pratiquer notre sexualité. Avec le porno éthique, les femmes voient à l’écran d’autres femmes prendre du plaisir, vivre leurs fantasmes. Cela leur donne du pouvoir ».

« Le porno peut être très cinématographique »

Cette évolution, la réalisatrice la célèbre au fil des pages de son ouvrage « ERIKA LUST ARCHIVES 2004-2024 ». Un livre « pour montrer au monde le travail qu’on a accompli durant ces vingt ans dans différents domaines en matière de créativité, d’art, de diversité, de cinématographie, de féminisme et de revendication politique, confie-t-elle. Et pour célébrer cette communauté rassemblant tous ceux et celles qui font partie de l’univers Erika Lust ». Un livre aussi pour montrer que « le porno peut exister en dehors d’internet, et que le porno éthique, c’est avant tout des œuvres cinématographiques, belles à regarder, qui procurent émotions et sensations, à rebours des contenus crus qui inondent Internet ».

Et après vingt ans de carrière, beaucoup ont rejoint le sillon qu’elle a tracé. « J’ai vu l’impact positif que ma démarche, dans laquelle je ne suis pas seule, a eu, explique Erika Lust. Les femmes et les personnes non binaires se sont fait une place nécessaire dans ce milieu, qui représente mieux les différentes sexualités et intègre les communautés queers ».

Pour les vingt prochaines années, Erika Lust a « envie de continuer à créer, à faire des films. Et d’accompagner la diversité dans cette industrie. Quand on me demande ce que je conseillerais à une femme qui voudrait, comme moi, se lancer dans la réalisation de films porno éthiques, le seul conseil que je veux donner c’est : « lancez-vous ! » Les hommes n’ont pas hésité, n’hésitons pas nous non plus. Le porno a besoin d’être porté par de nouveaux regards ».