INTERVIEWNeil Cross: «Luther est un personnage icône»

Neil Cross: «Luther est un personnage icône»

INTERVIEWIl est écrivain, nominé au prestigieux Booker Prize. On doit à Neil Cross une des séries policières les plus puissantes et dérangeantes du moment, «Luther», une série de la BBC à découvrir ce lundi sur Canal+...
Propos recueillis Par Anne Kerloc’h

Propos recueillis Par Anne Kerloc’h

Le personnage de Luther, flic chasseur de sérial killer est impressionnant, massif. Il était essentiel de choisir un acteur aussi physique qu’Idriss Elba, déjà vu dans «The Wire»?

Je n’avais jamais réfléchi à la question de cette manière, mais oui, effectivement. Luther devait incarner la puissance. Il est puissant intellectuellement, puissant physiquement, puissant moralement. Le nombre d’acteurs capables d’endosser un tel rôle était assez limité, forcément et parmi eux, Idriss Elba était incontestablement le meilleur. Je suis vraiment très chanceux.

Son patronyme évoque la religion. Et lui-même semble tour à tour un ange déchu, un dieu vengeur, un possédé…

Au début, il portait un nom banal, mais quand j’ai présenté la série à la BBC, il est apparu très vite qu’il devait être une icône. Il lui fallait un nom d’icône. La symbolique religieuse marque la série. On aborde les thèmes du péché, de la damnation, de la rédemption, du paradis perdu. Le titre provisoire était d’ailleurs «La chute», comme la chute des anges après le péché et la chute du serial killer que Luther laisse tomber volontairement dans le vide dans le premier épisode.

[Attention SPOILER] Le fait de tuer la femme de Luther dans la série était le moyen de le rendre encore plus imprévisible puisqu’il n’a plus rien à perdre, plus de famille?

Oui et je voulais aussi provoquer un électrochoc sur le spectateur, changer brutalement les règles de l’histoire. Ce meurtre est un de mes passages préférés.

Vous êtes cruel!

Il est juste plus intéressant de remuer le spectateur que de simplement l’effrayer! Ce meurtre fait ressentir la perte, l’amour, pas simplement la peur. C’est plus fort, plus passionnant.

Vous dites que Luther est inspiré de Columbo, mais Columbo est un joyeux drille à côté de lui!

(Rires) J’ai beaucoup regardé «Columbo» gamin. Ce qui m’a inspiré, c’est la construction narrative, une rareté dans les séries policières, le «howcatch’em»: on connaît le meurtrier dès le début, le suspense consiste à savoir comment il va reconstituer le puzzle. Je ne comprends pas pourquoi ce type de format n’est pas plus fréquent.

La figure du détective, de l’enquêteur est majeure dans les séries britanniques, bien plus que dans d’autres pays…

C’est un effet de notre société de classes, fortement marquée par la hiérarchie sociale. Le détective restaure l’ordre social naturel après un meurtre violent qui l’a désorganisé. Il est d’ailleurs souvent en porte-à-faux avec des policiers issus du prolétariat. Ce n’est pas un hasard si l’âge d’or de l’histoire policière se situe dans une Angleterre champêtre de début du siècle, avec des vastes propriétés foncières, des personnages aristocrates.

Le personnage d’Alice Morgan, meurtrière surdouée qui noue une relation complexe avec Luther s’est-il vite imposé?

Oui, presque immédiatement. De tous les personnages que j’ai créés -et j’en ai créé beaucoup-, c’est celui qui m’est venu le plus facilement, le plus naturellement. Elle est ma préférée ! Alice provoque des réactions très fortes sur le public. Certains hommes sont terrifiés par elle, d’autres sexuellement attirés. Le public est aussi stimulé par son intelligence redoutable.

Beaucoup de personnages, y compris dans le staff des policiers, ont une double face, vous aimez explorer les parts d’ombre…

Depuis tout gamin, les histoires qui me fascinent le plus sont effectivement celles des anti-héros au double visage, c’est un fait!

Vos meurtriers ont des allures de Monsieur-Tout-le-monde…

Il est tellement plus terrifiant de penser que le danger guette au coin de la rue, dans le cours ordinaire des jours… Dans la série, les meurtriers sont des psychopathes, quasi démoniaques, mais ils ont un physique banal. Je suis ainsi très fier du passage où un homme s’introduit dans une entreprise aux heures de bureau, et massacre tout le monde avec un marteau.

Vous vivez en Nouvelle Zélande, vous regardez les séries néo-zélandaises?

Holà, non, la télé néo-zélandaise est sans doute la pire télévision au monde, une catastrophe! Les séries australiennes ne m’attirent pas plus que ça, non plus, à part «Underbelly». En revanche, la série française «Engrenages» («Spiral» en anglais ») est géniale. Le personnage du capitaine Laure Berthaud , un peu «out of control», j’adore.

«Luther» va-t-il devenir un film?

Nous avons plusieurs offres que nous sommes en train d’étudier. Et la saison 3 est lancée.