Immersion« Certaines Miss ont de vrais rêves mais TF1 capitalise sur leurs corps »

Miss France 2023 : « Certaines filles arrivent avec des rêves mais TF1 capitalise sur leurs corps »

ImmersionDans sa création « Tenir debout », la comédienne Suzanne De Baecque raconte son expérience auprès des miss de l’élection régionale de Poitou-Charentes.
Maxime Fettweis

Maxime Fettweis

L'essentiel

  • En 2020, Suzanne de Baecque a été candidate à l’élection de Miss Poitou-Charentes.
  • De son immersion parmi les Miss est née la pièce Tenir debout, qu’elle incarne avec Raphaëlle Rousseau. Leur tournée reprendra le 7 mars au théâtre d’Angoulême, les 17 et 18 mars au Méta de Poitiers et le 20 mars au CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est.
  • Alors que l’élection sera diffusée ce samedi 17 décembre à 21h10 sur TF1, la comédienne revient pour 20 Minutes sur cette expérience. « Lors du concours, toute expression doit disparaître, tu dois être dans le moule. Mais j’ai été surprise que mes concurrentes aient des parcours de vie hyper singuliers et à chaque fois leur participation est une démarche de prise de pouvoir. »

La comédienne Suzanne de Baecque a profité d’un programme de l’école du Nord à Lille, où elle était élève comédienne pour se présenter au concours de Miss Poitou-Charentes. Sérieusement. L’apprentie actrice s’est glissée dans ce concours en 2020, planquant parfois son micro pour retranscrire au mieux les discours entendus dans les coulisses « comme dans Cash Investigations », s’amuse-t-elle auprès de 20 Minutes. Recalée au bout de trois étapes, elle a recueilli les témoignages des participantes, guidée par ses questionnements. Comment, alors qu’une nouvelle parole féministe est en train de naître, de se libérer, peut-on avoir envie de devenir Miss ? Qu’y a-t-il derrière ces corps que l’organisation Miss France fabrique ?

Cette expérience aboutit deux ans plus tard à Tenir debout, un spectacle de théâtre documentaire incarné par Suzanne elle-même et par Raphaëlle Rousseau. Quelques jours avant l’élection à l’issue de laquelle sera désignée Miss France 2023, la comédienne revient sur cette expérience et les leçons qu’elle lui a apprises.

Comment avez-vous eu l’idée de tenter cette l’expérience de miss pour votre projet théâtral ?

Alors qu’on faisait les courses dans un supermarché avec mon beau-père, il a aperçu une affichette pour le concours de Miss Poitou-Charentes. Il m’a dit « Ah bah tiens, si t’as pas tes concours, tu pourras t’inscrire à Miss Poitou ! ». Quand j’étais petite, j’ai beaucoup regardé Miss France, c’est un univers qui m’était familier, et j’adore tout ce qui est girly, le show…. Alors j’ai commencé à regarder comment se déroulaient une élection de Miss France, une élection régionale, à quoi ça ressemblait et je me suis inscrite.

Quelles ont été les premières étapes à passer ?

J’ai envoyé un dossier avec des photos de moi. Il fallait répondre à un formulaire dont certaines questions me paraissaient un peu décalées. On te demande ta taille, la couleur de tes yeux, si tu as des tatouages, pourquoi tu veux te présenter à Miss Poitou-Charentes, ton rêve, si tu fumes, et si c’est le cas, est-ce que c’est un problème pour toi de ne pas fumer en public… Participer à l’élection locale m’intéressait car il y a un côté beaucoup plus artisanal. Je l’ai bien vu lors de l’étape suivante, celle du casting où tu dois te préparer toi-même, avec ta propre robe. J’ai constaté qu’entre la première élection en région et l’élection finale, les visages changent beaucoup. Justine Dubois, la Miss Poitou-Charentes élue quand j’ai participé au concours, a fait le casting avec moi. Quand je l’ai vue à la télé à Miss France, je l’ai reconnue, mais ce n’était plus la même personne….

Un long passage de votre pièce est consacré au coaching des Miss. Pourquoi ce moment vous a-t-il particulièrement marqué ?

J’ai été impressionnée par le protocole qui conditionne les filles à agir d’une certaine façon. On nous a appris à marcher, à défiler, à sourire, à regarder le jury dans les yeux, tout ça en nous appelant par des numéros. Le contexte dans lequel j’ai passé le concours était particulier car c’était durant l’épidémie de Covid-19. L’élection devait être annulée et ils se sont dit : "Bon aller, on la fait quand même, on a un petit créneau là en juillet entre deux confinements." C’était comme une mini-élection à huis clos. Il y avait vraiment juste une pauvre enceinte qui diffusait du Rihanna à fond la caisse avec une lumière de gymnase tandis qu’on défilait en maillot de bain qui rentre dans les fesses… Sans le décorum qu’on connaît des concours de Miss, c’était un peu glauque.

Quelle a été votre réaction à l’annonce de votre élimination à l’issue de cette étape ?

Après avoir reçu le mail qui m’annonçait que je n’étais pas prise, je ne savais pas ce que j’allais faire car je voulais poursuivre mon projet. Alors j’ai contacté toutes les filles qui étaient à mon casting via Instagram pour qu’on se rencontre.

Cela vous a-t-il permis de poser des noms sur ces numéros rencontrés durant le concours ?

Oui. Aujourd’hui je les regarde avec beaucoup plus de bienveillance car j’ai vu les personnes derrière la vitrine. Derrière cette fille qui marche pareil qu’Aquitaine, passée quelques secondes plus tôt, il y a une vie incroyable…

Comment cette expérience a-t-elle influencé votre vision de ce type de concours ?

À plusieurs échelles, ça a vraiment déjoué tous mes a priori. Je trouvais ces concours un peu ringards, comico-désuet et puis hyper misogynes, aliénants. Ce sont des filles qui sont prises dans des aliénations de corps par rapport à une norme assez violente. Quand je les ai rencontrées, j’ai constaté que certaines de ces choses existent. Lors du concours, toute expression doit disparaître, tu dois être dans le moule. Et les candidates acceptent ça. Mais j’ai été surprise que ces filles aient des parcours de vie hyper singuliers et à chaque fois leur participation est une démarche de prise de pouvoir.

S’agit-il d’une forme de conscience du côté problématique du dispositif Miss France ?

Elles ne sont pas dupes du dispositif mais elles estiment avoir des raisons de participer. Que ce soit pour retrouver son esprit de compétition après avoir arrêté le sport, se sentir à nouveau bien dans son corps après une maladie… Ou tout simplement parce qu’elles aiment le spectacle et qu’elles veulent en faire partie.

C’est aussi une façon de bénéficier d’un porte-voix et d’être entendue…

Quand tu deviens Miss France, ta vie change. C’est une forme de mise en lumière, qui fait même un peu peur mais qui fait aussi complètement fantasmer les filles dès les premières étapes. Ce qui est paradoxal, c’est qu’en même temps elles le font dans des démarches singulières de prise de pouvoir, de leur vie, de leurs idées, pour s’élever, se faire entendre, sauf que le discours qui est demandé dans la compétition est hyper normé. C’est la place de l’expression qui pose problème, la mise en scène. En vérité, tu ne peux pas t’exprimer vraiment car c’est très codifié.

Faudrait-il casser ces codes ?

Je pense que l’émission ne peut pas le faire. Elle n’est pas le lieu pour ça. À ce moment-là il faudrait un documentaire complémentaire qui suit chacune des candidates. Là on est dans un concours de beauté… Mais ce serait intéressant qu’on sache vraiment qui sont celles qui se présentent, au-delà d’un portrait préfabriqué qui dure à peine une minute.

Diane Leyre, élue Miss France 2022, a déclaré après son élection : "Je ne me suis jamais sentie aussi féministe que quand j’ai fait Miss France." Miss France et le féminisme ne sont-ils pas antinomiques ?

Cette citation pose vraiment question. En même temps on pourrait montrer des choses beaucoup plus féministes qu’un défilé en maillot de bain sur TF1 devant Jean-Pierre Foucault et en même temps il y a quelque chose de très féministe là-dedans. Les filles disent : "Je décide de montrer mes jambes, de montrer mon corps…" C’est le même courage que de monter sur scène pour faire un spectacle et il faut du courage (rires).

Comment vivent-elles le regard porté sur les Miss et les critiques ?

L’une des filles que j’ai rencontrée m’a dit : "Évidemment qu’il y a des pervers qui regardent Miss France juste pour ça mais ce n’est pas la majorité et ce n’est pas pour ça qu’on le fait." Il ne faut pas les prendre pour des agneaux cloués au pilori, il n’y a rien de sacrificiel dans leur démarche. J’ai découvert que Miss France c’est aussi un spectacle, ce n’est pas qu’une émission où on juge le physique de filles. Le problème c’est comment c’est récupéré pour la télévision. Elles ont une minute trente pour parler d’elles donc forcément elles n’en parlent pas, elles n’ont pas le temps. La récupération de TF1 ce n’est pas qu’ils veulent mentir mais finalement ils mentent par omission pour faire du fric. Il y a des filles qui arrivent avec des rêves assez clairs mais pour la chaîne, il faut avant tout capitaliser sur le corps des filles.

Estimez-vous que le concours a encore des raisons d’être ?

C’est comme la Star Academy, c’est là fait pour faire rêver les gens. Évidemment tout ça est un décorum hyper arriéré et en même temps ça donne une chance à des filles. Je pense qu’abolir Miss France n’aurait pas de sens car ça crée des rêves. Des rêves qui sont un peu normés, un peu chiants et un peu problématiques mais mettre des rêves dans la tête des gens c’est hyper important. Les filles que j’ai rencontrées, elles étaient pleines de désir d’un truc qui d’un coup les met en mouvement.