Le dérèglement climatique a bouleversé le métier des stars de la météo
Environnement de travail•Sécheresse, canicule, tornade… Les phénomènes extrêmes se sont accentués ces derniers mois, amplifiant le rôle de journalistes météoMaxime Fettweis
L'essentiel
- Inondations, sécheresse, tornade, avalanches… Les événements météorologiques se succèdent depuis le début de l’année. Et le mois d’octobre pourrait être le plus chaud jamais enregistré depuis le début des relevés de températures de Météo-France.
- Depuis l’été passé, Françaises et Français semblent avoir pris conscience des conséquences du réchauffement climatique, les yeux rivés sur les journaux météo annonçant chaque jour des prévisions jusque-là inhabituelles.
- « Cela fait longtemps que j’ai banni les phrases toutes faites du type : "Il va faire beau", confie Évelyne Dhéliat, présentatrice météo sur TF1 depuis trente et un ans. Parce que du beau temps pour les vacanciers, c’est du mauvais temps pour les agriculteurs et les éleveurs… »
«La France va cramer cette semaine ! » Les mots, loin d’être choisis au hasard, prononcés le 14 juin par Marc Hay, le présentateur météo de BFMTV ont fait le tour des réseaux sociaux. Ils ont aussi saisi des milliers de téléspectateurs en sueur à l’aube d’un été qui allait être marqué par la sécheresse et trente-trois jours de canicule, un record. « Qui a envie d’avoir 37 degrés à la mi-juin, c’est dingue ! […] Je pense qu’il faut qu’on change notre manière de parler de ça, parce que ça n’imprime pas. […] Tout ceci va aller en s’aggravant », déclarait alors celui qui parle de la pluie et du beau temps sur la chaîne info.
Quatre mois et demi plus tard, la chaleur a fait son retour en plein mois d’octobre, battant des records de température dans plusieurs coins de l’Hexagone. « Nous avons eu jusqu’à 23 degrés en pleine nuit », rappelle Evelyne Dhéliat à 20 Minutes. La présentatrice météo de TF1 est formelle, ces températures, « c’est de la folie ».
Présentateurs et présentatrices météo sont parmi les premiers témoins du dérèglement climatique. Désormais, leur rôle est aussi de sensibiliser et d’éduquer le public jusque dans sa consommation d’énergie. C’est à peine s’ils ne doivent pas envisager d’ajouter une ligne « lanceur d’alerte » à leurs CV. Explications.
« Un avant et un après été 2022 »
Sécheresse sans précédent, chaleur étouffante - en particulier dans le Sud-Ouest –, records absolus dans le Nord… L’été passé a marqué un tournant dans la perception qu’ont les Françaises et les Français du réchauffement climatique. « C’est une prise de conscience absolue », confirme Chloé Nabédian. Inondations, sécheresse, tornade, avalanches… « Les phénomènes vécus cette année ne sont pas forcément inédits, mais chaque saison a été marquée par des événements exceptionnels, de grande ampleur, typiques des années qu’on vivra à partir de 2040. »
« On voit une accélération des phénomènes météorologiques et de leur violence », déplore de son côté la présentatrice météo vedette de la Une. Il y a huit ans, elle avait fait forte impression en présentant un bulletin météo d’anticipation avec les prévisions d’une journée caniculaire d’août 2050. 40 °C à Paris et Bordeaux, 43° à Nîmes… prédisaient les prévisionnistes du service de climatologie de Météo-France qui l’avaient élaborée. De quoi faire froid (ou plutôt chaud) dans le dos. Elle a remis ça la semaine dernière, avec des prévisions réactualisées pour ce fameux été 2050 : cette fois-ci, le thermomètre atteint les 45 °C dans la capitale et les 48° dans le Gard.
« Même en 2014, lorsque Météo France m'avait donné les températures, j'étais étonnée de lire des températures comme 42 degrés à Paris, se remémore l'animatrice. Mais finalement, on les a vite atteints avec un record absolu de 42,6 degrés dans la capitale en 2019. Il y a un emballement auquel je ne m'attendais pas forcément. » Elle estime qu’il ne faut pas pour autant devenir alarmiste : « Ça fait très longtemps que je suis mobilisée par les problèmes liés au changement climatique. Dès 2003, j’ai commencé à parler des bons gestes à adopter pour limiter son impact environnemental. » Mais, à l’époque, il était bien plus difficile pour la population d’imaginer les conséquences d’une hausse durable des températures. « Quand on disait : "les températures vont augmenter de 1,5 à 2 degrés d’ici la fin du siècle", ça n’évoquait pas grand-chose aux gens. Aujourd’hui, tout le monde peut se rendre compte des conséquences que l’on vit au jour le jour », souligne Evelyne Dhéliat.
C’est pour cette raison que sa consœur de France 2 affirme qu’il y aura « un avant et un après été 2022 », même si le service public travaille depuis de nombreuses années à insuffler des notions climatiques à son journal météo. « Il y a déjà eu un véritable tournant lors de la COP21, en 2015, indique-t-elle. Cela a été une sorte de révélateur pour beaucoup de médias qui se sont mis à informer davantage sur les sujets climatiques pour donner aux citoyens les clés pour qu’ils puissent agir. »
De nécessaires adaptations
Autre bouleversement relativement récent : le fort ensoleillement n’est plus systématiquement salué comme un bonheur. « Cela fait longtemps que j’ai banni les phrases toutes faites du style : "Il va faire beau", confie Evelyne Dhéliat. Parce que du beau temps pour les vacanciers, c’est du mauvais temps pour les agriculteurs et les éleveurs… Je discute très souvent avec mon marchand de légumes au marché. La météo est un facteur important dans son travail. Une période de sécheresse, c’est une catastrophe pour lui ! »
Sur France 2, la terminologie s’adapte au moment de la journée. « Cela fait longtemps qu’on a adapté notre vocabulaire à l’époque et qu’on a exclu certaines façons de parler du temps », pointe Chloé Nabédian. Si vous regardez le bulletin météo qui précède le JT de 13 h ou celui de 20 h, les mots choisis ne sont pas les mêmes, l’édition de mi-journée étant volontairement plus légère.
Jauger l’importance et l’influence d’un phénomène météorologique est toutefois un jeu d’équilibriste pour les présentateurs météo. « On ne nous voit que cinq minutes à l’antenne mais nos journées sont extrêmement denses », souligne celle qui officie sur le service public. Aux simples observations météorologiques s’est ajouté le recul climatique, qui permet d’en savoir plus sur les causes des phénomènes inhabituels traversant l’Hexagone. « Je pense qu’à l’avenir, le journal météo va évoluer, s’allonger pour avoir plus de temps pour parler de ces sujets, suggère Chloé Nabédian. Je vois d’ailleurs mal comment on pourrait passer à côté d’une émission hebdomadaire sur le sujet dans les années à venir… »
Des nouvelles responsabilités
« J’ai vécu les tempêtes de 26 et 27 décembre 1999 qui ont ravagé la France avec des vents extrêmement violents. On n’avait jamais vécu ça », se remémore Evelyne Dhéliat. La présentatrice a ensuite contribué à élaborer, avec Météo-France, les cartes de vigilance qui alertent sur les facteurs de risques climatiques département par département. « Le rôle de cette prévoyance est de plus en plus important car savoir que quelque chose va survenir près de chez soi, ça sauve des vies », insiste-t-elle.
La spécialiste de la première chaîne estime que le champ de son métier s’élargit toujours plus. Interventions en direct dans les journaux télévisés, dans des émissions d’information ou séquences publiées sur les réseaux sociaux, elle est régulièrement sollicitée pour son expertise. Même chose pour Chloé Nabédian qui estime que parler régulièrement du climat permet « d’appréhender ces problématiques qui vont s’accentuer ». « Ce qui est important c’est d’en parler. Pas d’une façon catastrophique mais en montrant les solutions, montrer qu’on ne va pas revenir à la lampe à pétrole mais que le monde moderne doit quand même s’adapter. »