Pourquoi «Homeland» n'est pas à côté de la plaque, même si la série met en scène une femme président des Etats-Unis?
SERIE•La saison 6 de la série américaine se déroule entre le jour de l’élection du président des Etats-Unis et son investiture, deux mois plus tard…Anne Demoulin
Carrie Mathison est de retour sur les écrans et le sol américains. Après avoir déjoué une attaque massive dans le métro berlinois, l’ex-agent de la CIA, installée à New York avec sa fille, travaille désormais pour une organisation aidant les musulmans résidant sur le sol américain qui sont victimes des préjugés. « Ce pays est devenu complètement fou après le 11-Septembre. Et personne ne le sait aussi bien que moi », dit-elle dans la bande-annonce des épisodes inédits. La saison 6 d’Homeland, diffusée dimanche soir aux Etats-Unis et ce mardi à 23h sur Canal + Séries, se déroule entre le jour de l’élection du président des Etats-Unis et son investiture, deux mois plus tard. « C’est le transfert de pouvoir le plus difficile de toute l’histoire », annonce la voix off dans la bande-annonce. Alors qu’Homeland est réputé pour ses scénarios réalistes rejoignant l’actualité, il semble que les créateurs du show, Howard Gordon et Alex Gansa, n’ont pas vu venir la victoire de Donald Trump, puisque c’est une femme qui accède à la fonction suprême. Alors, Homeland, à côté de la plaque ? Pas si sûr.
Le choc de la victoire de Donald Trump
L’annonce de Showtime qu’Elizabeth Marvel (vue notamment dans le rôle d’Heather Dunbar dans House of Cards) allait rejoindre le casting d’Homeland pour interpréter Elizabeth Keane, la présidente élue des Etats-Unis, avait retenu l’attention en juillet dernier. Hillary Clinton était alors la première femme candidate à la fonction suprême. « Hollywood, majoritairement démocrate, avait peur que Donald Trump ne soit élu, et s’était mis en marche pour soutenir la candidature d’Hillary Clinton », analysait alors Alexis Pichard, doctorant à l’université du Havre, qui prépare une thèse sur l’imbrication du thriller et du politique dans les séries américaines de l’après 11-Septembre. L’ex-Première Dame était devenue la coqueluche des séries américaines, et ses avatars, légion dans les fictions. Le parallèle entre Elizabeth Keane dans Homeland et Hillary Clinton ne s’arrête pas là. Elizabeth Keane est une démocrate, ancienne sénatrice de l’état New York.
« Il paraît évident que les scénaristes ont été pris de court par les résultats des réelles élections », estime Fabien, cofondateur du site Critictoo. « Juste après l’élection de Trump, nous avons tous été inquiets pendant un moment pensant que nous allions être hors de propos », reconnaît Alex Gansa, co-créateur et showrunner d’Homeland à USA Today.
Alors que, dans la saison 5, la série anticipait les frappes occidentales intensives sur Raqqa et l’attentat à Berlin, les créateurs d’Homeland se seraient donc fourvoyés pour la saison 6 ? Non, parce que la série s’attache à dépeindre une transition sous haute tension. « Il y a cette période étrange en Amérique où, pendant 72 jours, on ne sait plus trop qui est en charge », explique le showrunner à EW. « C’est un transfert de pouvoir très complexe, rempli de toutes sortes d’anxiété et de différents intérêts concurrents - Comment puis-je obtenir l’oreille du nouveau président ? Comment le nouveau président élu traite-t-il avec le président qui sort ? - et c’est un moment dangereux dans notre démocratie », estime Alex Gansa. Cette saison s’intéresse à l’incertitude qui règne dans cette période de transition.
Pas encore investie, Elizabeth Keane, comme Trump, se met à dos la CIA
Et puis, Elizabeth Keane a beau être une démocrate, ancienne sénatrice de New York, elle n’est pas Hillary Clinton. « Elle un peu Hillary, un peu Donald Trump, et un peu Bernie Sanders », décrit Alex Gansa à Variety. Elle partage notamment avec Trump un dédain pour les agences de renseignement. « Il y a certaines choses qui se produisent dans notre histoire qui sont jumelés avec ce qui se passe dans le monde d’une manière étrange », se réjouit Alex Gansa dans USA Today. Elizabeth Keane est relativement opposée à la stratégie du pays en ce qui concerne son combat au Moyen-Orient, et son investiture pourrait changer la donne de la politique étrangère américaine, et contrecarrer les plans de la CIA.
« Ses idées sont naïves et dangereuses », dira un des personnages. Dans le premier épisode, Saul Berenson (Mandy Patinkin) et Dar Adal (F. Murray Abraham) sortent de leur premier entretien avec le futur chef de l’Etat américain, très inquiets. « J’ai reçu un texte d’Alex qui fait absolument écho avec tout ce qui se passe dans la transition, avec les conflits du monde réel entre le Président élu et la communauté du renseignement », a commenté Mandy Patinkin à nos confères Américains d’USA Today. « Cette saison sera consacrée à l’éducation d’un nouveau président et à la responsabilité de l’agence de renseignement de rendre cette nouvelle personne consciente des dangers du monde », détaille Alex Gansa à EW.
Les politiques de lutte contre le terrorisme aux États-Unis seront au centre de cette sixième saison. L’application pratique de l’accord nucléaire de l’administration Obama avec l’Iran, signé à Vienne en juillet 2015, qui a fait face à de nombreuses critiques durant la campagne présidentielle réelle de Donald Trump, sera aussi un des grands thèmes de la saison.
Ces thèmes sont le résultat direct de la tournée annuelle des producteurs d’Homeland à Washington, DC, pour prendre le pouls des fonctionnaires du renseignement. La frontière entre le réel et la fiction est de plus en plus floue, Homeland partage même des consultants avec l’équipe de Trump, que Gansa a refusé de nommer. « C’est vraiment une chronique, au sens poétique, du monde dans lequel nous vivons », considère Mandy Patinkin. Alex Gansa et ses équipes ont réussi, une fois encore à inscrire, la série paranoïaque au cœur de la réalité politique mondiale. Bien plus que la menace terroriste, dans cette saison, la menace qui se profile à est intérieure.