Festival de la fiction TV de La Rochelle: Les séries françaises ont-elles les moyens de s’exporter ?
débat•TF1, Canal+, Arte ou France 2, la question de la place des séries françaises dans le monde des séries a agité le PAF durant tout le festival...Anne Demoulin
On appelle ça un climax dans le jargon des séries. La fiction télé française vit un moment clé de son histoire. D’un côté, nos séries sont enfin au niveau des normes internationales, de l’autre, la concurrence n’a jamais été aussi tendue. « Avec 1310 séries produites par an dans le monde, on a atteint un sommet », résume Tim Davie, le PDG de , venu poser les jalons du « grand débat » du Festival de la fiction TV de la Rochelle ce vendredi et montrer la voie aux petits frenchies. Tim Davie a rappelé comment le numérique et les plateformes telles que ou Amazon ont changé la donne, « comme Uber pour les taxis ». Il professe : « Côté diffuseurs, seuls les meilleurs vont rester ». Comment les séries françaises peuvent-elles s’en sortir dans cet environnement mondialisé ?
L’équation du marché de la série est simple pour Tim Davie : « On produit de plus en plus de séries et on a de moins en moins de temps pour les regarder ». Sa stratégie ? « Proposer des contenus uniques » en mobilisant « une communauté créative », « travailler sa marque », « monter des coproductions », et développer « du marketing social » online.
Une fiction en progrès qui peut mieux faire
Bonne nouvelle ! La fiction française, « longtemps trop formatée » et genre « insuffisamment considéré » comme l’a souligné la ministre de la Culture, Audrey Azoulay, dans son discours au , bénéficie d’un « dynamisme récent ». Canal + et Arte n’ont plus le monopole des bonnes séries. « Même TF1 prend des risques du côté de la création », s’exclame Maxime Saada, DG du Groupe Canal +.
L’embellie créative du secteur a permis d’enregistrer cette année un record historique des ventes de programmes audiovisuels français à 164,2 millions d’euros, soit une progression de 43 % en 10 ans. C’est bien, mais insuffisant. « On est au milieu du gué », résume Véronique Cayla, présidente d’Arte.
Mobiliser sa « communauté créative »
« Je souhaite accompagner ce mouvement en commençant d’abord par le soutien à l’écriture », a déclaré ors d’un point presse. Pour exporter une série, il faut d’abord « une bonne histoire », rappelle Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions. Et un auteur qui écrit dans de bonnes conditions. « Il faut accompagner les auteurs le plus tôt possible dans leurs projets, et encourager les résidences d’écriture », recommande Christophe Tardieu, DG du . L’Etat peut en ce sens se féliciter du lancement du cursus création séries TV à la FEMIS.
Donner plus de moyens à la création
« On produit un volume de fiction inférieur à celui de nos voisins », regrette la ministre de la Culture. Deux fois moins d’heures que le Royaume-Uni et trois fois moins que l’Allemagne ! « Augmenter le volume produit de fiction va de pair avec une diversification de la production. Il faut faire du 26 minutes, du format de journée, de la seconde partie de soirée », estime la ministre. La fiction française manque de diversité. Les sujets de société ne sont souvent traités qu’au format unitaire, comme avec un des plus gros cartons de la fiction française. « Les comédies sont rares », déplore encore le responsable du comité de sélection du FFTV de La Rochelle,
Pour produire plus, il faut plus de moyens. L’Etat va notamment accorder des « crédits d’impôts sur la production audiovisuelle », « l’équivalent de 40 millions d’euros ». Audrey Azoulay souhaite aussi assouplir , ce qui permettrait aux chaînes d’engranger de « 20 à 30 millions » supplémentaires.
France Télévisions va accroître de 20 millions d’euros ses dépenses dans la fiction française (pour un total de l’ordre de 420 millions). TF1 prévoit un budget de 150 millions dans la fiction. « Pour s’exporter il faut déjà être fort chez soi », note Gilles Pélisson, PDG de TF1.
Chercher des relais de financement à l’étranger
Le nerf de la production audiovisuelle, c’est l’argent. Thomas Anargyros, , souhaite « une réforme du système de financement de l’audiovisuel ». Même son de cloche à la , « la TNT engrange 30 % des recettes publicitaires et finance la création à hauteur de 5 % ». « Les grands opérateurs ne participent pas au financement de la création », déplore aussi Pascal Rogard, DG de la SACD.
Netflix et Apple sont invités à sortir leur porte-monnaie. « C’est le sens des débats que nous avons en ce moment à Bruxelles sur la révision de la , avec l’idée de pouvoir faire contribuer ces services de vidéo à la demande, et ce, où qu’ils soient installés, au financement de la création européenne dès lors qu’ils servent le marché européen », détaille la ministre. Il faut « aller chercher des relais de financement à l’étranger, c’est ce que fait le secteur de l’animation très bien », estime Audrey Azoulay.
Faire des coproductions
Pour être de taille avec le géant américain, la solution est-elle du côté des « coproductions » avec les Européens ? Un grand oui pour Arte. « Un cheval de Troie », se méfie Christophe Tardieu. « Pour faire quoi ? Tourner en anglais ? », s’interroge Marie Masmonteil, présidente du SPI.
La langue peut constituer un obstacle à l'export, mais « pas une barrière », selon Véronique Cayla. D’autant que le marché francophone va s’élargir : « Nous sommes 275 millions de francophones, nous serons 800 millions en 2050 ! », se réjouit Maxime Saada.
a été acheté dans une vingtaine de pays et par Netflix. Cela marche parce qu’il y a une vraie originalité », rappelle la patronne d’Arte. Et les Américains adaptent des séries israéliennes comme Hatufim, devenue Homeland. Preuve qu’une idée géniale, ça s’exporte !
Avoir de l’audace
Le patron de la Une prône la création de fictions « osant mettre en scène des thèmes ou des genres qu’on s’interdisait avant ». Thomas Anargyros estime qu’une réflexion autour du système de classification est nécessaire. « On peut parler de tous les sujets sans le faire brutalement », défend Olivier Schrameck, président du CSA. « C’est important qu’ils puissent y avoir des plages d’audace », reconnaît cependant la ministre au sujet des programmes de secondes partie de soirée.
Assumer son côté français
Gilles Pélisson estime qu’il faut mettre en avant « la typicité française ». Avis partagé par Maxime Saada : « Les Etats-Unis proposent cette rentrée des séries avec des superhéros et des reboots. Il y a de la place pour des productions originales à forte valeur ajoutée, comme la BBC avec Happy Valley ». Après tout, « de Canal + est la série du mois sur I-Tunes ». « On a tout à fait ce qui faut et tous les atouts pour s’adresser au public mondial. On n’en a peut-être juste pas suffisamment conscience », estime Audrey Azoulay. Alors, osons !