VIDÉO. «Déjà demain», «Cash Investigation»... Pourquoi les journalistes se mettent en scène
MEDIAS•Guy Lagache présente sur D8 le nouveau magazine de reportages «Déjà demain», où il est à l'écran, sur le terrain, à l'instar d'un Bernard de la Villardière ou d'une Elise Lucet...Vincent Jule
Déjà présentateur de l’émission En quête d’actualité, et également directeur des programmes et de l’information de la chaîne, Guy Lagache propose ce dimanche à 20 h 50 sur D8 un nouveau magazine grands formats intitulé Déjà demain, sur les bouleversements du monde et du quotidien. Le premier numéro s’intéresse ainsi à la question « Qu’allons-nous bientôt manger ? », et Guy Lagache est de tous les plans : journaliste de terrain, enquêteur baroudeur, reporter sans frontières. « Ce n’est pas la première fois que j’incarne un reportage, commente-t-il. Je le faisais dans Capital sur M6 à partir 2005-2006, j’étais à la fois sur place pour enquêter, et en plateau pour présenter. »
« Evidemment que j’ai lancé une tendance »
Chemise ouverte, mèche au vent, démarche assurée… Bernard de la Villardière, sors de ce corps ? En effet, d’Enquête exclusive à Cash Investigation en passant par Le Petit Journal ou Harry Roselmack en immersion, de plus en plus d’émissions voient leurs animateurs se montrer à l’écran, se mettre en scène sur le terrain. Un effet de mode ? Souvent présenté, et même caricaturé, comme le précurseur du genre, Bernard de la Villardière assume, le sourire en coin : « Evidemment que j’ai lancé une tendance. Je n’en tire pas de gloire particulière, mais ça m’amuse beaucoup, car les gens se moquaient de moi au début, y compris dans la profession. Or, maintenant, ils sont tous en train de me singer. Par exemple, j’aime beaucoup ce que fait Martin Weill au Petit Journal, il est plus jeune et plus décalé. Mais ceux de Canal + ont été les premiers à se moquer gentiment de moi, Yann Barthès m’avait même reçu sur son plateau avec deux tapis de course. »
Indiana Jones et les aventuriers de l’info perdue
Si en tant que producteur et rédacteur en chef d’Enquête exclusive, qui fête bientôt ses 10 ans sur M6, Bernard de la Villardière participe au choix et au montage des sujets, et enregistre ses lancements plateau sur place, il n’incarne pas stricto sensu les reportages, qui peuvent prendre jusqu’à six mois de travail. C’est ce que Guy Lagache s’est accordé sur Déjà demain, même s’il rejette toute starification ou mise en scène. Il insiste d’ailleurs sur le fait qu’il n’a pas enquêté seul à travers le monde, mais avec trois autres journalistes : Julia Montfort, Sophie Planque et Aurélie Marques. Pour la mise en scène, impossible de ne pas y penser lorsque sur les traces d’une baie miracle qui aurait pu remplacer le sucre, il descend dans les sous-sols d’une université américaine tel Indiana Jones à la recherche de l’arche perdue. « Rien n’est mis en scène, réaffirme-t-il. C’est un plan-séquence, la caméra tourne et vous découvrez les archives avec nous. Tout est brut. »
Renforcer l’empathie avec le téléspectateur
L’expression « se mettre en scène » gêne également Bernard de la Villardière : « Cela suppose une préparation, une direction d’acteur. Je veux bien refaire un lancement s’il y a un souci technique, mais je suis dans la spontanéité, je m’inspire du journalisme à l’anglo-saxonne, des journalistes de la BBC et de CNN qui, depuis des années, sont sur le terrain, devant la caméra. » Guy Lacache renchérit : « Avant, j’étais à côté du caméraman, et là, je me décale de 15 cm pour être devant l’optique. Mais sinon, les méthodes d’investigation sont les mêmes. »
Pour Patrick Eveno, historien des médias et président de l’Observatoire de la déontologie de l’information, il était temps que la télévision invente de nouvelles formes : « Le modèle de l’ORTF a perduré pendant trop longtemps, la télévision était vue comme le canal d’information - et souvent la voix off - officiel, compassé, alors que la presse écrite accueillait déjà des grands reporters, qui, comme Albert Londres, se racontaient dans leurs papiers. » Mais la multiplication des chaînes puis l’arrivée de BFMTV et iTélé ont changé la donne, créé de la concurrence, appelé à se réinventer. Le spécialiste ne porte aucun jugement de valeur sur ces incarnations, ces mises en scènes, qui sont autant de façons de rendre les reportages « plus vivants, plus accessibles ». C’est Elise Lucet, bien connue des spectateurs pour ses JT sur France 2, qui devient le visage de Cash Investigation lors des caméras cachées, des passes d’armes avec les politiques ou les grands patrons, en première ligne, au combat, et renforce ainsi l’empathie.
Du journalisme citoyen
Au revoir aussi le costard cravate pour les hommes, le journaliste de terrain préfère le jeans-baskets, présentable mais à l’aise, « il porte les yeux de M. Tout-le-monde » précise Patrick Eveno. Mais le danger d’un tel procédé est de tourner au système, de devenir la norme. Sur les chaînes d’info en continu, le journaliste en duplex ne s’est-il pas imposé comme une image, une info à lui tout seul ? « C’est une question de dosage, explique l’historien de la télévision. Tant qu’il n’y a pas tromperie, la scénarisation est logique, il s’agit de capter le public, de le prendre par la main, ou le col de la chemise, et l’accompagner jusqu’au bout. » Ce qui fait dire à Guy Lagache que l’incarnation est aujourd’hui galvaudée : « Je me considère plus comme un journaliste citoyen, je pars de la vie quotidienne, je me pose les mêmes questions que tout le monde. Je ne cherche pas à montrer ma trombine, je cherche à trouver des réponses. »