Un petit village sans histoires est soudain frappé par la mort d’un enfant. Qui a tué le petit Nathan, et pourquoi ? Un duo d’enquêteurs - une flic du pays et un capitaine de gendarmerie étranger à l’île – se met en quête du coupable… Remplacez « Nathan » par Danny, et vous avez Broadchurch, la série britannique qui, en février 2014, captivait 6,4 millions de téléspectateurs en moyenne… Sur France 2, déjà : c’est là toute l’ironie. Déjà lancé en production, le remake Malaterra devait avoir la primeur sur l’original Broadchurch, mais l’ordre de diffusion s’est finalement inversé.

Alors ce mercredi soir, si vous avez déjà vu Broadchurch : oui, ça sentira le réchauffé. Surtout pendant ces deux premiers épisodes, dont certaines scènes ont été copiées. Quelle part du public aura la curiosité de continuer, même si l’identité du coupable est évidemment différente, et les acteurs convaincants (Simon Abkarian et Constance Dollé forment un beau binôme) ? Le pari est grand pour France 2. Il l’était également pour Jean-Xavier de Lestrade, le réalisateur de Soupçons passé à la fiction depuis La Disparition et 3 X Manon, la série d’Arte. Les scénarios étaient déjà écrits quand le producteur Shine le sollicite fin 2014, à quelques mois du tournage. Entretien.

Fin 2014, le remake américain « Gracepoint » est un train de faire un flop, Broadchurch qui a été diffusé l’hiver précédent a battu des records d’audience… Pourquoi vous laissez-vous convaincre ?

Au départ, j’ai dit non. Broadchurch avait été très bien fait, je ne voyais pas ce qu’on pouvait faire d’autre. Je me suis finalement dit que ça valait le coup de savoir ce qu’on pouvait faire de ce matériau, avec notre savoir-faire. Pouvait-on produire quelque chose qui n’ait pas à rougir de l’original ? Les Britanniques sont présentés comme un modèle absolu en matière de séries… C’était une sorte de défi personnel. J’ai souvent refusé des scénarios parce que je ne les trouvais pas assez bons. Paradoxalement, si on m’avait apporté les scénarios sans que Broadchurch ait existé, je n’aurais peut-être pas accepté ! Il y a peut-être une affaire d’orgueil, ou de vanité…


Le remake est très assumé. Si la mémoire de Broadchurch est encore fraîche, impossible de rater certains copiés-collés. Dans le pilote, sont copiées jusqu’à la scène des embouteillages ou la robe rouge de la mère… Le montage de ces images mises côte à côte le montre très bien.

Si j’avais été à l’origine de la série, j’aurais sans doute écrit différemment, pour se démarquer davantage. En même temps quand les choses fonctionnent, il est compliqué de les changer… J’ai en tout cas demandé aux personnes de l’équipe qui n’avaient pas vu Broadchurch de s’en passer. Et aux autres de l’oublier. Par chance, ni Simon Abkarian, ni Nicolas Duvauchelle, ni Louise Monod ne l’avaient vu. Seulement Constance Dollé. Idem pour l’équipe de déco, des costumes… Je voulais qu’ils n’essaient ni de copier, ni de faire de l’inverse. D’autant plus qu’ils ne s’interdisent rien. Pour la tenue de Louise Monod dans le pilote, on en a essayé dix différentes avant de se mettre d’accord sur une robe rouge… que la productrice a trouvée trop ressemblante avec celle de Broadchurch. Mais pour moi, il n’était pas question de s’interdire quoi que ce soit.

Constance Dollé et Simon Abkarian, les nouveaux Olivia Colman et David Tennant.

Le scénario qui vous a été proposé était ancré en Corse. Mais les références à l’identité corse sont assez limitées…

J’ai accepté le cadre mais ma condition était qu’on ne reconnaisse presque pas la Corse. Il faut que l’histoire reste universelle. Ce ne sont pas les images habituelles de la Corse, cette plage (située dans le nord, autour de St Florent) est unique en Corse, il n’y a pas les cigales de la méditerranée, c’est sauvage, on pourrait être en Suède. On a effacé toutes les traces de « corsitude ». On a également gommé les accents : soit tout le monde l’a, soit personne.

Chris Chibnall a vu « Soupçons » pendant son écriture de « Broadchurch » et s’en est inspiré. Quand l’avez-vous rencontré, et avez-vous lu ses scénarios ?

Il est venu au début du tournage. Il était comme un enfant, pour lui c’était un rêve de voir sa série tournée en français. J’ai lu les scénarios originaux pour entendre la langue, et ce qui est frappant, c’est sa vision. Il y a l’efficacité du polar, la profondeur des personnages et une vision globale, celle du paradis perdu, de l’enfer, tous les personnages ont un lien au péché, qui est lié au sexe…


En quoi votre passé de documentariste oriente-t-il votre façon de tourner ?

J’essaie d’amener de la sincérité, de la simplicité. Dans un polar il y a forcément une manipulation des téléspectateurs, pour les emmener sur de fausses pistes. Or quand un flic étudie la piste d’un suspect, j’ai envie que dans la manière de filmer, dans le jeu des comédiens, ce ne soit pas qu’un jeu. Je porte le même regard sur eux que sur les suspects que j’ai pu filmer. Je déteste quand on bouge la caméra comme si elle savait ce qui allait se passer. Dans un documentaire vous ne savez pas ce qui va se passer ensuite, et vous n’allez pas filmer un personnage avant qu’il ne parle. J’essaie de me placer du même point de vue.

Le scénario, en revanche, était déjà écrit. Avez-vous tenté de corriger ce qui ne collait pas avec les affaires que vous avez pu suivre ?

Certains éléments me heurtaient en termes de crédibilité et j’ai pu en modifier certains, mais on ne peut pas tout réécrire. Le gendarme qui reste auprès de la famille, par exemple, est un personnage typiquement anglo-saxon. En France, détacher un gendarme pour jouer l’officier de liaison, cela n’existe pas. Mais le personnage était écrit, je n’allais pas le supprimer. Certaines choses ne sont pas crédibles, ce sont les limites.

Vous continuez dans la fiction. Une saison 2 pour « 3 x Manon », une autre série sur les lobbys pour Arte. Que vous apporte la fiction que vous n’aviez pas dans le documentaire ?

Créer une forme de réel qui distille une émotion parfois plus forte que celle du réel, quand le téléspectateur ne fait plus la différence, c’est très excitant. Et le public touché est plus large. Alors du moment que ce sont les thèmes qui me sont chers… Mais c’est encore mieux quand je peux écrire.

L’envie de filmer le réel ne revient-elle pas malgré tout, quand l’actualité vous touche ?

Si, parfois. Tous les événements que je vois depuis vendredi, les témoignages que l’on entend, c’est d’une force inouïe. On a envie de prendre une caméra et de filmer certaines choses. Aucune fiction ne peut s’approcher de ça.