«En France, on a un sérieux retard sur la perception des talents du Web»
INTERVIEW•Le collectif Studio Bagel présente ce jeudi à 22 h 35 sa toute première émission sur Canal + : « Le Tour du Bagel »…Propos recueillis par Clio Weickert
Natoo, Jérôme Niel, Alison Wheeler, Monsieur Poulpe, Kemar, Kevin Razy… Le Studio Bagel, quoi ! Si ces noms ne vous disent rien, soit vous avez été cryogénisé ces trois dernières années, soit des petits hommes verts venus du fin fond de la galaxie vous ont gardé au chaud dans leur vaisseau spatial. Ou sinon, vous n’avez ni Internet, ni la télé.
Découvrez la bande-annonce du « Tour du Bagel » :
Sachez alors que ce collectif d’humoristes né sur Youtube suscite autant d’admiration que de perplexité. « Youtubeur, mouais… Encore une invention pour faire croire aux gamins qu’on peut gagner sa vie en deux clics sur la toile… Mais quand la mode sera passée, ils feront quoi tous ces jeunes bercés d’illusion » ?. A l’occasion du lancement sur Canal + ce jeudi à 22h35 du Tour du Bagel, un « sketchshow » hebdomadaire tournant à chaque fois autour d’une thématique spécifique (l’université, l’aéroport…), 20 Minutes a confronté violemment le Studio Bagel à ces réflexions quelque peu étriquées. Lorenzo Benedetti, fondateur et producteur du collectif, ainsi que Vanessa Brias, productrice exécutive, se sont pliés volontiers et avec humour à une interview « vieux con » (parce qu’on en a tous un qui sommeille en nous).
Le « Tour du Bagel », c’est un programme créé essentiellement pour Canal +. Ça veut dire que vous passez enfin aux choses sérieuses ?
Vanessa Brias : Vraisemblablement, beaucoup n’arrivent toujours pas à considérer Internet comme une finalité… Bien sur que c’est un rêve de diffuser un programme sur Canal, c’est hyper sérieux mais on fait tout sérieusement depuis le début en fait. C’est juste que c’est un nouveau vecteur et on est fier de présenter quelque chose sur Canal.
Lorenzo Benedetti : Ça fait déjà trois ans qu’on produit pour Canal, ça doit être notre 6e ou 7e programme, et même si on est énormément sur le digital, 50 % de notre activité, c’est de la télé. Le Tour du Bagel, c’est notre première émission. Avant, c’étaient surtout des programmes courts intégrés à la grille de Canal et là on a une vraie case de 20 minutes. On arrive dans la cour des grands donc oui, on est content.
Car à la base, vos sketchs sur Internet, c’était un truc de gamins pour les gamins, non ?
Vanessa Brias : Pas du tout ! (rires) En fait, c’est juste pour ceux qui aiment la création ! Nous n’avons pas réinventé le concept de programmes courts d’humour, on l’a peut-être simplement démocratisé et rendu plus accessible. On ne réfléchit pas en termes de tranche d’âge, mais juste de ce qu’on veut raconter, de ce qui nous a touché, ça peut parler à des ados mais aussi à des gens qui ont 50 piges.
Lorenzo Benedetti : En France, on a un sérieux retard sur la perception des talents du Web. D’ailleurs je n’aime pas ces expressions de « youtubeurs » ou « talents du Web ». Ce sont des auteurs, des réalisateurs, des comédiens… Ils ont choisi Internet parce que c’était le moyen le plus simple, le moins cher et le plus massif pour toucher leur génération. C’est un phénomène, mais qui révèle surtout une nouvelle vague de créateurs.
Maintenant que vous êtes bien installé à la TV, vous allez jeter Youtube comme une vieille chaussette ?
Vanessa Brias : Jamais de la vie ! Au contraire, ce serait une grosse erreur. Il y a simplement un écran supplémentaire dans le monde de l’audiovisuel. Internet c’est une forme de liberté géniale. Avant d’être produit, on était sur Internet parce qu’on se faisait recaler de la télé, et comme on voulait s’exprimer, on est passé par Youtube pour faire vivre nos projets. Nous n’arrêterons donc jamais et en plus c’est l’écran le plus accessible et le plus direct.
Lorenzo Benedetti : Déjà, on a réussi à négocier avec Canal que les deux meilleurs sketchs de l’émission soient diffusés gratuitement sur notre chaîne Youtube. Ça veut bien dire que la chaîne a compris quel était notre ADN, à savoir des créateurs qui viennent du digital. Donc on ne nie pas d’où on vient, et on ne l’oublie pas.
Entre nous, vous qui bossez avec eux, Youtubeur, ce n’est pas vraiment un métier n’est-ce pas ?
Vanessa Brias : Artiste, c’est un métier non ?
Lorenzo Benedetti : C’est vraiment une question de vieux con ! En fait, c’est comme s’il y avait un métier, que beaucoup le pratiquaient, mais seul 0.5 % y gagnaient de l’argent. C’est plutôt comme un sport en fait ! Ce n’est pas encore un vrai métier, mais c’est une manière de se révéler, de s’entraîner et de s’amuser.
Mais ils vont devenir quoi tous ces petits jeunots quand Internet sera passé de mode ?
Vanessa Brias : Ils resteront des artistes puisqu’ils le sont déjà !
Lorenzo Benedetti : Dans dix ans, beaucoup de ceux qui travaillent avec nous seront des comédiens, des auteurs ou des réalisateurs reconnus. Certains travailleront peut-être pour la saison 10 de Dix Pour cent !