MEDIASJournalistes tués en Virginie: Comment les médias français ont décidé de diffuser la vidéo ou non

Journalistes tués en Virginie: Comment les médias français ont décidé de diffuser la vidéo ou non

MEDIASMercredi, à la réception des images des journalistes abattus en direct, une partie des médias français a décidé de les diffuser tandis qu’une autre a préféré s’abstenir…
Annabelle Laurent

Annabelle Laurent

Fallait-il diffuser la vidéo montrant la journaliste Alison Parker et son caméraman Adam Ward, abattus en plein direct ? La question a divisé les rédactions françaises, mercredi. Bien que beaucoup plus rapidement tranchée, celle de diffuser les 2e et 3e vidéos, celles du tueur, s’est également posée. Tandis qu’aux Etats-Unis, CNN a diffusé la première vidéo une fois par heure, les trois chaînes d’information française BFM TV, iTELE et LCI ont choisi de ne pas montrer les images.

Du côté des chaînes qui disposaient d’un temps de décision plus long, le JT de TF1 n’a montré aucune image, tandis que le JT de France 2 les a diffusées, y compris celles du tueur, en s’arrêtant avant les coups de feu. Du côté des sites d’information, également tenus par les exigences du temps réel, les décisions ont été diverses. 20 Minutes a pour sa part choisi de ne montrer que les premières secondes, avec le montage suivant.



Comme l’explique l’historien Fabrice d’Almeida à 20 Minutes, la question de montrer la mort en direct n’est pas nouvelle, mais moins taboue. Etait-ce d’ailleurs montrer la mort en direct ? La vidéo avait-elle une dimension informative? 20 Minutes a choisi de donner la parole à deux médias qui ont pris des décisions opposées.

Comme Europe1.fr (où la décision a été prise par Fabien Namias en concertation avec les équipes, indique Europe 1) ou Les Inrocks (où la vidéo a disparu: le site n'a pas souhaité la remplacer à son retrait - par d'autres - de YouTube), L’Express.fr a fait le choix de diffuser la vidéo intégralement, sur Dailymotion, dans ses 24 secondes: Alison Parker est en interview, on entend les coups de feu, puis les cris de la jeune femme pendant que la caméra tombe au sol.

La vidéo de L’Express est précédée de 5 secondes d’un texte d’avertissement qui tient lieu d’image d’appel de la vidéo. Au dessus, un texte explique aux lecteurs que « Si l’événement est d’une grande violence, la vidéo ne comporte pas d’images sanglantes. Les regarder reste un choix individuel. » L’auteure du texte, Emma Defaud, rédactrice en chef de L’Express.fr, raconte avoir d’abord publié la vidéo, puis l’avoir fait enlever une vingtaine de minutes: «C’était quelque chose d’important, j’avais besoin de bien établir les raisons pour lesquelles on le faisait. On en a beaucoup discuté dans la rédaction. Et comme cela engageait le titre, je suis allée voir Christophe Barbier, qui m’a donné son accord.»

«On n’impose pas la vidéo, c’est le choix de l’internaute»

Pour Emma Defaud, «la première idée, c’est qu’on ne l’impose pas. A l’inverse d’une radio ou d’une télé, c’est le choix de l’internaute. On n’est pas en autoplay.» Ensuite, pour la journaliste, «ce n’est pas sanglant, on ne touche pas à la dignité des personnes. On ne voit pas les gens mourir [la caméra tombe. On entend les cris et les coups de feu]. Ce n’est pas la mort en direct.»

Troisième argument, valable à cause des deux premiers, insiste la journaliste: «C’est une information. Ça a été diffusé en ligne, sur les ondes, ça fait l’objet d’une enquête. Ne pas les montrer, n’est-ce pas déserter l’info? Notre rôle est-il d’aller dire que les médias sociaux en donnent toujours plus que nous?»

En revanche, au sujet des vidéos prises par le tireur arrivées ensuite, et non diffusées, «l’arbitrage était immédiat, puisqu’il y avait une forme de voyeurisme mise en scène par le tueur lui-même».

A l’évocation de la vidéo de la mort du policier le 7 janvier lors de l’attaque de Charlie Hebdo, qu’aucun média français n’avait diffusé, à l’exception du Point qui en avait tiré sa Une, la journaliste estime: «C’est très différent. On voit quelqu’un se faire tuer. On atteint la dignité de la personne. Et c’est une image volée, achetée, et non pré-diffusée à la télé.» Emma Defaud évoque de son côté la vidéo du crash de Jules Bianchi, largement diffusée mi-juillet. «Le fossé entre la levée de bouclier hier et l’absence de réactions quand tout le monde a diffusé la vidéo du crash de Bianchi m’interroge.»

A lire: Sur les réseaux sociaux, la mort en direct et en autoplay

«Que les images arrivent en direct, ce n’était pas anodin»

Comme de nombreux médias parmi lesquels LeMonde.fr ou Libération.fr, LeFigaro.fr a pris le parti de ne pas diffuser les images. De façon collégiale, «rapidement» et «de manière assez simple», explique Sylvain Chatelain, chef de service adjoint en charge de la vidéo. «Il n’y a pas eu particulièrement de débat.» Pour deux raisons principales, explique le journaliste. D’abord «parce que les images étaient particulièrement choquantes». «Même si on ne voyait pas de sang, les images sont arrivées quasiment en même temps que l’information qu’ils étaient tous les deux morts, donc il n’y avait pas de doutes sur ce à quoi on assistait.»

Autre élément pour trancher: «Le fait que les images arrivaient en direct.» «On s’est dit que ce n’était pas anodin, et il y avait l’idée que ce serait faire le jeu du tueur, et l’apologie de la violence, alors qu’on n’était pas obligés de montrer les images. Je ne dis pas, bien sûr, qu’on avait pressenti dès le départ ses intentions. Mais les deux autres vidéos ont confirmé cette volonté du tueur de manipuler au maximum ces canaux médiatiques qu’il connaissait bien.»

«La question reste surtout de savoir si cela n’attente pas à la dignité des personnes, souligne l’historien Fabrice d’Almeida interrogé par 20 Minutes. S’il y a une dimension informative, alors il faut diffuser. C’est un choix éthique que chaque chaîne doit faire au cas par cas».

>>> Vidéo pour comprendre ce qu'il s'est passé le 26 août en Virginie