TELEVISIONLancer une série, une affaire planétaire

Lancer une série, une affaire planétaire

TELEVISIONDe «Daredevil» à «Game of Thrones», les budgets et l'infrastructure passent à la vitesse supérieure...
Philippe Berry

Philippe Berry

L'âge obscur des séries à l'international touche peut-être à sa fin. Sous la pression du piratage et de la globalisation de la culture Web, la télévision a amorcé une mutation forcée. Vendredi dernier, Daredevil, de Marvel, a été lancé sur Netflix dans 50 pays en simultané. Trois jours plus tard, la cinquième saison de Game of Thrones démarrait à la même seconde sur 170 territoires. Et ce n'est que le début.

«C'est plus facile pour Netflix et HBO car ils ont une large base d'abonnés dans le monde entier», relativise Alan Wolk, analyste média chez TDG Research. A 130 millions de membres, HBO a de l'avance mais regarde dans le rétroviseur alors que Netflix vient de passer le cap des 60 millions. Son patron, Reed Hastings, veut être présent dans 200 pays d'ici deux ans.

VF disponible et qualité ajustable

Netflix joue à fond la carte de la localisation. Alors que de nombreuses séries proposées en H+24 sont limitées à la VOST, Daredevil offre le choix entre des sous-titres ou des doublages dans une demi-douzaine de langues. «Nous passons par des agences car le travail est colossal mais il y a quelques employés ''maison'' pour s'occuper des menus, des résumés et vérifier qu'il n'y a pas d'erreurs» environ un mois avant le lancement, souligne la traductrice française Maella Buet. Cela prend du temps, à tel point que Fox a repoussé d'un an la sortie américaine de Wayward Pines, de M. Night Shyamalan, pour la dégainer dans 125 pays le 14 mai (sur Canal+ en France).

Produire le contenu n'est que le début. Il faut l'acheminer jusqu'à l'abonné. HBO s'appuie encore sur une diffusion traditionnelle mais mise gros sur le streaming avec HBO Now. Après des hoquets en 2014, le groupe a choisi de sous-traiter l'opération à la Ligue de baseball US. Netflix, lui, préfère contrôler les tuyaux de bout-en-bout et déploie progressivement son propre réseau de distribution. Il paie les fournisseurs d'accès à Internet pour installer chez eux des serveurs de plus de 100 TO (100.000 Go) contenant tout son catalogue. Il existe des centaines de versions de qualité différente pour chaque épisode. «Si on voit que le débit disponible chez l'abonné baisse, on peut s'adapter en temps réel pour éviter toute interruption», explique Chris Jaffe, vice-président en charge de l'interface utilisateur.

Le pari Versailles

Tout cela a un coût. Selon le magazine Variety, Disney a injecté 200 millions de dollars pour développer les cinq séries Marvel prévues sur Netflix d'ici l'an prochain. Le budget de Game of Thrones est estimé à 60 millions de dollars par an et celui de Marco Polo à 90 millions. Les séries françaises sont encore loin, même si Versailles, qui sera diffusée en novembre prochain sur Canal+, frappe fort avec 27 millions d'euros. Pour minimiser les risques, elle a été tournée en anglais afin de faciliter la vente à l'international.

Amazon, Microsoft, Sony, AOL, Yahoo, Hulu... Tout le monde dégaine son chéquier pour créer ses programmes originaux. Y aura-t-il de la place pour tous? Alan Wolk en doute. De la télévision à Internet, «les plus petits acteurs vont sans doute disparaître», estime l'analyste. La loi de l'évolution, en somme.

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