TELEVISION«Sanctuaire»: Canal + aborde le passé d'ETA dans un thriller politique

«Sanctuaire»: Canal + aborde le passé d'ETA dans un thriller politique

TELEVISIONCanal+ diffuse ce lundi soir à 21h «Sanctuaire», une fiction politique avec Jérémie Renier dans le rôle d’un émissaire de Mitterrand chargé de régler le dossier basque…
Annabelle Laurent

Annabelle Laurent

Qui se souvient aujourd’hui des attentats perpétrés par le GAL au Pays Basque? Entre 1983 et 1987, 28 personnes sont assassinées en France et en Espagne par les Groupes antiterroristes de libération (GAL), des commandos para-policiers espagnols créés pour lutter clandestinement contre les indépendantistes basques d’ETA. Ils manquent rarement leurs cibles, et la complicité de la police française est mise en cause… C'est cette page méconnue de l’histoire politique française que rouvre Canal+ ce lundi soir avec Sanctuaire, une passionnante fiction coproduite par Haut et Court (Les Revenants) et récompensée du Fipa d'or du meilleur scénario en janvier dernier à Biarritz.

La fin du sanctuaire

Une fiction, mais très largement ancrée dans le réel, d'ailleurs présent via des archives de JT: en 1984, la France a fait de ses terres basques un «sanctuaire» pour les indépendantistes d’ETA, considérés comme réfugiés politiques depuis la période franquiste, mais ceux-ci poursuivent la lutte armée et les attentats sur le sol espagnol… L’Espagne dirigée par le socialiste Felipe Gonzalez réclame leur extradition, et le GAL commence en parallèle ses premiers attentats. Déchirée entre ses promesses envers l’ETA et ses liens politiques avec la gauche espagnole, la gauche mitterrandienne est bien embarrassée sur le dossier ETA.

Pour incarner cette position ambiguë, Sanctuaire crée le personnage de Grégoire Fortin, joué par Jérémie Renier, un avocat proche de Badinter qui va devoir, en négociant avec le chef de l’appareil militaire d’ETA Txomin (Alex Brendemühl), confronter son idéalisme au cynisme de la realpolitik.


De Baltimore au Pays Basque

En s’appuyant sur ce duel politique porté avec brio par les deux acteurs, Sanctuaire montre l’évolution en miroir de deux organisations, l’ETA et le gouvernement français. «On s’aperçoit au fur et à mesure qu’elles sont confrontées aux mêmes problèmes: de leadership, de logistique, de stratégie… », explique à 20 Minutes le co-scénariste Xabi Molia (Les Conquérants). Il dit s’être «un peu inspiré de The Wire, qui met en parallèle l'évolution des dealers et celle de la police de Baltimore. Pour moi, c’est le même principe».

«Un oubli très simulé et très confortable»

Sur ce sujet jusqu’ici absent de la fiction française – Canal+ voulait un film sur la question basque, puis l’idée originale est venue de la productrice Quitterie Duhurt-Gausserès, le travail d’investigation a mené Xabi Molia à de nombreuses rencontres. Avec des soutiens d’ETA, - «car il faut mesurer l’attrait qu’exerçait ETA, surtout sur la jeunesse, à une époque où la violence était plus facilement légitimée», avec des policiers et des magistrats qui avaient travaillé sur le GAL. Du côté de l’Elysée, aussi, mais cette fois pour se heurter «à un oubli très simulé et très confortable», confie Xabi Molia. Sur le GAL, «plus personne n’avait de souvenirs».

Il raconte le «brillant exposé» sur les relations franco-espagnoles de l’époque donné par l'un des conseillers diplomatiques de Mitterrand, qui s’était tu dès l’évocation du GAL, lançant: «Qu’est-ce que c’est, le GAL?».

Le terrorisme comme stratégie

Pour Grégoire Fortin et pour Txomin, les deux héros, comme pour le personnage de Yoyes, célèbre dirigeante d'ETA jouée par Juana Acosta, les grands principes ne tiennent plus, et les compromis se font dans la douleur: leurs cheminements font tout l’intérêt de Sanctuaire, construit comme un thriller politique en plein cœur d'une nature basque magnifiée par les images du réalisateur belge Olivier Masset-Depasse, et qui bouscule volontiers le spectateur.

«Aujourd’hui, on ne voit plus le terrorisme qu’à travers le prisme du 11 septembre, note Xabi Molia. On le lie forcément à la folie, au fanatisme. Ici, le terrorisme est vu comme une stratégie, c’est rationnel. Et c’est ce qui est dérangeant.»