Eric Zemmour partout: «Il est devenu un personnage proche», explique François Jost
INTERVIEW•François Jost, analyste des médias, explique à 20 Minutes le succès d’Eric Zemmour et de son discours auprès des chaînes de télévision…Alice Coffin
Eric Zemmour a été condamné pour provocation à la haine raciale. Il estime, comme expliqué à longueur des 527 pages d’Un suicide français, qu’hommes et femmes, homosexuels et hétérosexuels, ne peuvent prétendre aux mêmes positions dans la société. C’est ce qu’il a été invité à expliquer par exemple sur le plateau d’On n’est pas couché le 4 octobre, ou de C à vous le 6 octobre, ou celui de Ce soir ou jamais le 11 octobre, et sur d’autres antennes. Avec des audiences en hausse pour toutes ces émissions. 20 Minutes a demandé à François Jost, auteur d’Une télévision de qualité (Ed. INA), d’analyser ce qui est aussi un mécanisme télévisuel.
C’est Eric Zemmour ou les discours d’extrême droite qui plaisent au public et donc aux émissions télé?
Depuis quelque temps, depuis Marine Le Pen en fait, les médias préfèrent inviter quelqu’un d’extrême droite plutôt que de droite. L’opposition s’est raidie, déplacée à droite. Dans Des Paroles et des actes, on a de plus en plus d’invités comme Marion Marechal Le Pen. Donc cela ne concerne pas qu’Eric Zemmour.
En gros, toutes les émissions se sont transformées en Ce soir ou jamais, alors qu’avant c’est juste à Frédéric Taddeï qu’on reprochait d’inviter des personnalités au discours haineux envers certaines parties de la population?
Oui. Cela s’est généralisé comme moyen de faire des joutes verbales. De goût pour le clash qui va au-delà d’adhésion à telle ou telle position. Moi-même j’en suis prisonnier, je me fais avoir. Il y a ces fameux «moments de télévision» dont le téléspectateur est victime consentante parce que c’est un beau match de foot ou de boxe. Ce qu’avait bien compris Paul Amar en sortant des gants au JT.
Donc il n’y a pas pour vous de spécificité Eric Zemmour?
Si, parce qu’Eric Zemmour a un long passé télévisuel. Les gens sont habitués à le voir, il est devenu un personnage proche depuis ses interventions chez Laurent Ruquier. Cela lui donne comme une légitimité. Une personnalité qui occupe tout le temps l’écran, on l’écoute, elle paraît mieux représenter la population que tel ou tel homme politique.
C’est pour cela qu’il fait autant d’audience?
C’est aussi parce que c’est un très bon rhéteur. Il a des façons agaçantes de combattre. Il ne va pas hésiter à dire à quelqu’un «c’est totalement faux» ou «vous dites des bêtises». Il ne prend pas les gants que prendraient d’autres. Du coup il fait monter la tension.
Et ce sont ces passages télé qui expliquent ses excellentes ventes?
Non, ce n’est pas dû aux passages dans le poste. C’est parce que ses lieux communs à tendance sexiste et raciste rencontrent l’adhésion d’un certain public. En même temps, c’est dérisoire par rapport au nombre de Français.
Les journalistes se posent-ils assez la question de leur responsabilité quand ils invitent Eric Zemmour?
Il ne s’agit pas d’en faire un martyre en ne l’invitant pas. Mais j’ai l’impression qu’avec la montée de Marine Le Pen, certains médias se sentent du coup autorisés à inviter des personnes qui tiennent des positions extrêmes. Il a quand même été poursuivi pour incitation à la haine raciale, c’est très gênant. Mais comme 43% des gens pensent que Marine Le Pen n’est pas redoutable alors les journalistes estiment qu’il est légitime d’inviter Eric Zemmour.