TELEVISIONUne étude affirme qu'en France les téléfilms sont moins conservateurs que le cinéma d'auteur

Une étude affirme qu'en France les téléfilms sont moins conservateurs que le cinéma d'auteur

TELEVISIONLa France produit beaucoup de téléfilms. De qualité. Ils sont à la fois très regardés d'un certain public. Et méprisés voire invisibles pour un autre public. Un ouvrage met à jour ces mécanismes...
Alice Coffin

Alice Coffin

On en produit 150 par an, il sont regardés par 2 à 5 millions de téléspectateurs, et, pourtant, on ne sait rien ou presque des téléfilms français. Ces productions intéressent peu les critiques. Noël Burch et Geneviève Sellier ont pourtant décidé de leur consacrer un ouvrage: Ignorée de tous..sauf du public. Quinze ans de fiction télévisée française. 1995-2010 (Editions INA). Geneviève Sellier, professeure en études cinématographiques à l’Université Michel de Montaigne, en donne les clés.

Pourquoi consacrer un ouvrage aux téléfilms français?

Noël Bruch et moi avons travaillé sur le cinéma populaire des années 30, 40 et 50. Nous avons fait l’hypothèse que les téléfilms, produits en masse depuis 30 ans, étaient les héritiers de ce cinéma populaire en termes de public, puisque leurs chiffres d’audiences correspondent à ceux du box office au cinéma, entre 2 et 5 millions.

Et cela touche le même public?

Non, c’est la grande différence. Le cinéma populaire jusqu’aux années 50 était vu par tous les publics. Aujourd’hui c’est beaucoup plus segmenté. Les téléfilms sont vus seulement par un public plutôt adlute, d’âge mûr, plutôt féminin, plutôt des classes populaires et moyennes. L’élite cultivée non seulement ne les regarde pas mais ne connait même pas leur existence. Ce ne sont pas des œuvres considérées comme légitimes.

Vos collègues ont dû être surpris que vous travailliez là-dessus, du coup ?

Mais ils ne savent même pas que ces téléfilms existent! Ce sont des productions de qualité mais totalement invisibles vu leur programmation. Les séries françaises sont plus connues car il y a une continuité de diffusion. Mais là alors que c’est une production mieux financée, plus sophistiquée, elle est invisible. Nous militons pour qu’on puisse les revoir en salles, ou dans le cadre d’une case «La télévision de minuit» comme il y avait «Le cinéma de minuit» par exemple.

Que pouvez-vous dire sur ces productions?

Il y a deux grands types, les chroniques familiales ou sociétales et les téléfilms historiques. Ce qui est frappant c’est que les chroniques familiales, sociétales, donnent une image de la société française à l’opposé de celle du cinéma d’auteur. Ces téléfilms mettent en scène un monde où les femmes sont majoritaires, adultes, travaillent, ont une vie privée mais aussi une vie publique. Alors que le cinéma d’auteur concerne des hommes entre 7 et 77 ans, et est finalement plus complaisant avec les valeurs patriarcales voire masculinistes.

Vous êtes en train de dire que la télé est plus progressiste que le cinéma ?

Disons qu’elle donne une image de la société française plus proche de réalité. C’est normal car la télévision est un média dominé. Alors que le cinéma d’auteur est l’expression des classes dominantes.

Pourquoi les critiques ne parlent pas davantage de ces téléfilms?

Ils en parlent avec condescendance. La critique en France s’est construite sur un modèle cinéphilique. On regarde les productions en foncion de problématiques d’auteur ou d’écriture. Sans se demander de quoi cela parle ou à quel public c’est destiné. Du coup les critiques télé sont la plupart du temps à côté de la plaque.

Y a-t-il une différence parmi ces téléfilms selon leur diffuseur?

La tendance lourde c’est qu’il n’y a plus que le service public qui fait des téléfilms unitaires. TF1 a abandonné. Et entre France 2 et France 3 d’un côté et Arte de l’autre, il y a une différence aussi. Arte privilégie plutôt un modèle de cinéma d’auteur. Même si de temps en temps ils laissent émerger des sujets de société. Et là on voit qu’ils parlent de questions sociales finalement de manière beaucoup plus réactionnaire que France 2 ou France 3. Ainsi «Lady Bar» qui fait la promotion du tourisme sexuel ou «Une femme à abattre» avec une vision très diabolisée de la Russie! C'est troublant.

Quelques exemples de téléfilms étudiés

Ignorée de tous...sauf du public. Quinze ans de fiction télévisée française analyse des dizaines de téléfilms, classés selon différentes catégories. Par exemple «Maman est folle» (mélodrame), «La Dette» (chroniques sociales), «Je hais les parents» (Comédie), A Cran» (polars), «Un amour à taire» (film historique), «Bel Ami» (Adaptations littéraires), «Sartre, l'âge des passions» (Biopics).