Strasbourg: La communauté de réfugiés tibétains continue de s'agrandir
SOCIETE•Arrivés pour les premiers en 2007 et rejoints récemment par plusieurs familles, les réfugiés tibétains forment à Strasbourg une communauté qui a célébré dimanche l'anniversaire du Prix Nobel du dalaï-lama...Bruno Poussard
L’heure du thé (au lait et au beurre salé) est déjà passée. A genoux, Tenzin Tsang Gagu s’empare du micro, ce dimanche après-midi. En français, anglais ou tibétain, il énonce les numéros. Même les plus petits écoutent, concentrés. C’est que chacun a misé. Et le vainqueur du loto empochera tout !
Après les prières bouddhistes matinales – « pour la paix dans le monde ou le Tibet », glisse Dorje Tsang Tsahi, la trentaine – un gros repas et quelques chants, l’heure est au jeu dans le salon de Karma, où pendent notamment un beau drapeau et une grande écharpe « Free Tibet », (le Tibet libre, en version française).
Une forte communauté tibétaine entourée à Paris
Débarqué en premier et en 2007 ici (presque par hasard) où il a obtenu le statut de réfugié politique, l’hôte du jour a vu la communauté tibétaine s’agrandir au fil des ans, jusqu’à l’arrivée cette année de nouvelles familles pour l’essentiel débarquées de la capitale. Où vit en fait la très grande majorité de la communauté tibétaine en France.
« A Paris, il y a beaucoup d’associations qui nous accompagnent pour obtenir le statut de réfugié, trouver une place en foyer ou un logement », explique Tenzin Tsang Gagu, cuisinier dans un restaurant, qui a choisi de rejoindre Strasbourg grâce au bouche-à-oreille en 2012 après un crochet par Metz. Comme lui, tous ou presque passés par l’Ile-de-France à leur arrivée.
Des défenseurs de la paix et la non-violence forcés de fuir
D’une famille de nomades, Tenzin Tsang Gagu a quitté le Tibet après avoir participé, à vingt ans à peine, au mouvement de protestation contre le pouvoir chinois au moment des JO de Pékin, en 2008 : « Depuis la colonisation en 1959, plus d’1,2 million de Tibétains ont été tués et des milliers de temples détruits, alors que notre religion et notre culture prônent la non-violence… »
Pour fuir, il a pris la direction du sud, à travers l’Himalaya et par-delà une frontière hautement surveillée par les autorités chinoises afin de rejoindre le Népal. « Mais là-bas, ils ne donnent pas d’asile politique, et il y a beaucoup de corruption », embraye Tenzin Tsang Gagu. Jusqu’à ce qu’il prenne donc la direction de la France. Celle de « la liberté », insiste-t-il.
Une petite communauté à Strasbourg très solidaire et autonome
Petit à petit, une cinquantaine de Tibétains vivent désormais à Strasbourg. Un des trois pôles en France, derrière Paris et Lyon, selon le président du Club Tibet, Michel Jermann qui a accompagné les démarches des premiers en Alsace : « Quand Karma a eu son statut de réfugié, on a sorti le champagne ! Peu après, le deuxième frappait à ma porte. Depuis, ils savent qu’il y a un réseau ici. »
La communauté tibétaine est aujourd’hui très autonome. Et organisée. « Si un arrivant ne parle pas français, on trouvera toujours quelqu’un pour l’accompagner aux rendez-vous, illustre Tenzin Tsang Gagu, "président" de cette communauté professionnellement implantée, notamment, dans la restauration. Si quelqu’un a besoin d’un travail, on demandera aussi autour de nous. »
Un premier restaurant tibétain ouvert voilà une semaine
Dimanche, une bonne partie de cette grosse famille solidaire et toujours positive (sans aucun cliché sur le bouddhisme !) a donc célébré le 27e anniversaire du Prix Nobel de la paix accordé au dalaï-lama. « C’est une tradition, partout dans le monde », explique Tenzin Tsang Gagu, toujours bien informé de la situation au Tibet, encore trop méconnue en France selon lui.
Pour échanger, les Tibétains de Strasbourg profitent, comme toute la diaspora, de l’application WeChat, sorte de WhatsApp chinois. « On a su qu’un autre Tibétain s’est immolé il y a quelques jours, donne-t-il ainsi en exemple. Sinon, ils peuvent parfois couper les lignes téléphoniques du Tibet vers l’étranger pendant des semaines au moment des fêtes bouddhistes. »
Maintenant, les Strasbourgeois vont eux peut-être entendre un peu plus parler du Tibet. Le chef Dorje Tsang Ringchen a en effet ouvert voilà une semaine un premier restaurant de spécialités tibétaines, les « momos », dont les couleurs s’affichent au début de la Grand’Rue. « Ça permet aux gens de connaître un peu mieux le Tibet en ressortant », se réjouit Dorje Tsang Tashi.