CHATSanté: «Ce n'est pas parce qu'on peut se passer d'alcool pendant une semaine qu'on n'est pas dépendant»

Santé: «Ce n'est pas parce qu'on peut se passer d'alcool pendant une semaine qu'on n'est pas dépendant»

CHATL'addictologue Elise Gaugler a répondu à vos questions...
Floréal Hernandez

Floréal Hernandez

Le chat est désormais terminé.

Le mot de la fin:
Merci aux internautes pour toutes ces questions qui montrent un grand intérêt pour l'addictologie.

J'invite toutes les personnes qui se sentent concerner par cette problématique à en parler, à aller consulter si nécessaire parce qu'il y a des moyens de se faire aider.

En ce moment, se tiennent les semaines d'informations sur la santé mentale avec des manifestations dans toute la France dont le thème en 2015 est «être adolescent aujourd'hui». On y parle de santé mentale mais aussi d'addiction et ça peut vous aider à trouver des réponses à vos questions et à vous orienter au mieux.

Anton: Comme les névroses, ne sommes-nous pas tous addicts à quelque chose: nicotine, glucose, sexe, films d'horreur, nouvelles technologies...? A quel moment fait-on la distinction entre une passion dévorante et une pathologie?

La frontière entre passion dévorante et pathologie peut être mince, en effet. C'est là qu'il est intéressant de revenir à la définition de l'addiction car il est tout à fait normal et même conseillé d'avoir des passions dans sa vie, après il ne faut pas que les passions mettent en danger la santé. Quand on parle de santé, c'est la santé au sens large: médicale (cancer du poumon, cirrhose), familiale (pas de disputes à cause des consommations ou du comportement en question), professionnelle (assurer son travail malgré sa passion), judiciaire (pas de contrôle d'alcoolémie positive au volant par exemple), sociale (isolement).

Pour dire qu'une passion devient une pathologie, il faudrait que cette passion envahisse la vie de l'individu et entraîne des conséquences néfastes pour sa santé.

LaBasque68: Les initiatives Digital Detox (docu sur Canal+) ou la semaine sans télé sont-elles une première étape pour soigner les addicts aux écrans?

Oui, les initiatives de ce genre peuvent être une première étape pour soigner les addictions aux écrans. C'est le même principe par exemple que pour l'alcool. Les recommandations officielles disent qu'il faut s'abstenir au moins un jour par semaine de boire de l'alcool pour ne pas rentrer dans le processus de dépendance.

Ces initiatives sont bonnes parce qu'elles permettent de rompre un cercle infernal et elles nous montrent que la vie est possible et que la vie continue alors qu'on est déconnecté des écrans.

Dans le même esprit, on peut aussi décider pour se protéger de l'addiction aux écrans de ne plus consulter ses mails le soir en rentrant après le travail ou après les cours. On peut aussi décider que quand on est au restaurant entre amis ou en couple, on coupe son restaurant ou on le laisse dans son sac pour pleinement profiter de la rencontre. Ces petites restrictions quotidiennes peuvent grandement aider à se protéger du risque de devenir addict aux écrans.

Clem O.: A partir de quel moment sommes-nous déclaré dépendant à l'alcool?

Quand on parle de dépendance, on parle classiquement de dépendance physique et de dépendance psychologique. La dépendance physique, c'est d'être mal quand on n'a pas consommé d'alcool depuis un certain temps (on devient irritable, on a des sueurs, on commence à trembler des mains). La dépendance psychologique, c'est le fait d'être obsédé par l'envie de boire et de perdre la liberté de ne pas boire quelle que soit la circonstance (fête, déprime, passation d'examen, terrasse d'un café, ne pas acheter d'alcool quand on fait ses courses, etc.).

On peut avoir des critères de dépendance soit physique soit psychique et elle peut être plus ou moins importante. Ce n'est pas parce qu'on peut se passer pendant une semaine d'alcool que l'on n'a pas de critères de dépendance: est-ce que ça a été facile ou difficile pendant cette semaine-là de se passer d'alcool?

Holy: Peut-on considérer, à l'heure où les jeunes sont ultra-connectés, comme moi, les jeux vidéo comme une réelle addiction? De nombreux parents ont peur de la pratique des jeux vidéo par leurs enfants, pourriez-vous les rassurer?

Les jeux vidéo peuvent devenir une réelle addiction mais cette situation concerne une faible proportion des joueurs. Fort heureusement. Pour qu'on parle d'addiction, il faut répondre à la définition de l'addiction, il faut une consommation répétée dans le temps qui procure du plaisir et qui écarte un sentiment de malaise et cette pratique de jeux vidéo doit envahir la vie entière des jeunes.

Nous sommes dans une période ultra-connectée. Les jeux vidéo font partie du paysage. Il est donc plus facile de devenir addict aux jeux vidéo aujourd'hui qu'il y a 20 ans parce qu'ils sont plus présents.

Par rapport à la question des parents, ils ont leur rôle à jouer pour protéger leurs enfants face aux risques. Il faut qu'ils s'intéressent aux jeux vidéo, regardent ce que font leurs enfants et si nécessaire dans la plupart des cas posent un cadre avec leurs enfants (place de l'ordinateur au sein de la maison, nombre d'heures par semaine, poursuite des activités sportives, contrôle des résultats scolaires...).

Gaënon: Mon frère fume depuis 6 ans tous les jours et ne peut s'empêcher de boire tout seul. Il ne veut pas se faire soigner. Comment l'aider?

C'est effectivement une situation difficile. Car vous repérez que votre frère a une consommation problématique: quotidienne et solitaire. Cela peut peut-être signifier que votre frère est en difficulté voire en souffrance.

Deux éléments de réponse à vous donner. On ne peut pas effectivement forcer quelqu'un à se soigner. De manière générale en médecine et en particulier quand il s'agit d'addictions. Vous pouvez lui dire que vous avez repéré ses consommations, que vous êtes inquiet pour lui. Ça le fera peut-être réfléchir.

D'autre part, il existe dans la plupart des consultations d'addictologie des consultations pour l'entourage. Un membre de l'entourage inquiet peut venir consulter pour faire le point, pour parler de la situation en question et pour se faire aider. Car tous les problèmes d'addiction que ce soit au cannabis, à l'alcool comme vous en parlez ou à d'autres produits ou à des comportements (jeux vidéo, jeux d'argent...) rejaillissent sur l'entourage.

JeuneAmbitieux: Le cannabis peut-il rendre addict? Si oui, y a-t-il des moyens pour s'en détacher?

Oui, la réponse est clairement oui. Il existe une addiction au cannabis car c'est un produit addictif. Son pouvoir de dépendance est moins important que le tabac ou l'héroïne par exemple. Cela se traduit par plus de consommateurs occasionnels de cannabis que de tabac. C’est-à-dire, proportionnellement, il y a moins d'addict qu'au tabac.

L'addiction installée, c'est une réelle dépendance avec perte de la maîtrise des consommations et poursuite du comportement en dépit des conséquences néfastes: problèmes respiratoires, de mémoire, perte de motivation, problèmes judiciaires, financiers...

Il existe des moyens de s'en détacher. La première étape se rendre compte de la dépendance et d'aller toquer à la bonne porte, d'en parler à des professionnels de santé. Le médecin traitant en premier recours qui pourra orienter vers des structures spécialisées si besoin comme la Maison des Adolescents ou les services d'addictologie à l'hôpital ou dans les structures associatives.

Daphné: Je désire savoir s'il existe une addiction au sucre.

L'addiction au sucre fait débat, et de manière générale à un aliment en particulier. Concernant l'anorexie mentale et la boulimie, ce sont deux pathologies que l'on regroupe sous le terme «troubles du comportement alimentaire» et qui sont classées dans les addictions.

Concernant l'addiction au sucre, il y a de plus en plus d'études qui tendent à prouver que ça répond à la définition d'une addiction. Ce matin, j'ai vu en consultation une dame d'une cinquantaine d'années pensant avoir une addiction au sucre et elle décrivait les mêmes symptômes que quelqu'un parlant de son addiction au tabac ou à l'alcool.

Le débat est ouvert, il faudra davantage d'études pour classer le sucre comme véritable drogue au même titre que le tabac ou le cannabis.

Daff: Mon fils de 14 ans m'a demandé quel était le pire entre alcool et cannabis? J'étais bien ennuyée pour répondre.

Docteur Elise Gaugler: C'est une très bonne question. Ça dépend du point de vue que l'on prend. L'alcool et le cannabis n'ont pas les mêmes conséquences sur la santé. Mais leurs consommations à l’adolescence ont des conséquences plus graves que quand on débute à l'âge adulte.

Le cerveau adolescent n'est pas mature et il est plus vulnérable aux produits. Il n'y a pas pire entre les deux produits. L'alcool entraîne des conséquences qui peuvent être dramatiques: ivresse, chute, accident de la voie publique. Le cannabis entraîne des problèmes de mémoire, de motivation, de concentration qui peuvent être préjudiciables pour la scolarité et les études. Donc des conséquences à court terme, moyen terme et long terme différentes pour les deux produits.

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Présentation du chat:

Le 19 mars, la ville de Strasbourg organise avec la Maison des Ados de Strasbourg des «Dialogues à cœurs ouverts» sur le thème de l'adolescence et ses risques. De 9h à 12h, au centre administratif, les adolescents pourront poser toutes les questions qui les interpellent à des médecins, conseillers d'éducation, sociologues, etc.

Parmi les spécialistes, le docteur Elise Gaugler, médecin addictologue aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, répondra aux questions portant sur les addictions aux drogues, à l'alcool ou aux écrans de télé, de téléphone ou d'ordinateur.