tennisLe coaching au tennis, un combat entre les modernes et les traditionalistes

Masters 1000 de Paris-Bercy: «Ça questionne sur l’identité même du tennis»… Le coaching, ou l’opposition modernes vs traditionalistes

tennisLe débat sur l'autorisation du coaching pendant les matchs a fait son retour dans l'actualité...
Aymeric Le Gall

Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • Après la sanction contre Serena Williams à l'US Open, son coach Patrick Mouratoglou plaide ouvertement pour une autorisation du coaching en plein match.
  • Ce débat vieux comme le tennis met aux prises deux camps qui semblent irréconciliables.
  • Au-delà, c'est la question-même de l'avenir du tennis, entre sport-compétition et sport-spectacle qui est en jeu.

A Bercy,

Alors que le Masters 1000 de Paris-Bercy a ouvert ses portes lundi, le monde du tennis est à nouveau traversé par des interrogations internes sur un sujet qui revient régulièrement sur le tapis : le coaching pendant les matchs. Après l’épisode de la finale dames de l’ US Open, sur lequel on reviendra brièvement, un nouvel élément est venu relancer le débat récemment.

Ce n’est pas tous les jours qu’on assiste à un retournement de cerveau en direct alors, quand la scène s’offre à nos yeux, on sort le pop-corn, on met les pieds sur la table et on savoure. A l’occasion du tournoi WTA de Moscou, la Russe Daria Kasatkina était tranquillement en train de sombrer dans son match contre Alizé Cornet lorsqu'elle a décidé de sortir son dernier joker et de faire appel à un ami. Ici, son coach, Philippe Dehaes. S’en suivent alors deux minutes d’anthologie où l’entraîneur belge trouve les bons mots pour rebooter sa machine.

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En substance, ça donne ça :

« On va faire très simple. Tu connais la muraille de Chine ? Maintenant, tu vas être la muraille russe. C’est totalement nouveau sur le marché. Tu sais ce que c’est ? Je t’explique : tu dois être extrêmement solide et ne pas lui donner le moindre point. Au-cun-point-gra-tuit (…) Daria, regarde-moi, tu veux gagner ce match ? Alors écoute-moi, tu vas le faire, je te promets. » C'est beau comme du Johnny, efficace comme du NTM.

Mouratoglou prêche pour une grande réforme

Après les beaux discours, le résultat : en deux temps, trois mouvements, Kasatkina renverse le match et roule sur la Française pour se qualifier au tour suivant. Cette scène, reprise en boucle sur les réseaux sociaux, a été retweetée dans la foulée par Patrick Mouratoglou, et cela n’a rien d’anodin. En effet, le coach de Serena Williams – sanctionnée lors de l’US Open pour avoir été coachée en plein match – publiait un plaidoyer pour l’autorisation pure et simple du coaching pendant les matchs.

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Avant d’aller plus loin, un petit point sur la règle: le coaching n’est autorisé uniquement que par la WTA, lors des tournois féminins hors grands chelems, et lors de la Coupe Davis. Pour le reste, c’est niet. Et ça agace Mouratoglou. Pour étayer son propos, il développe un argumentaire en quatre parties qu'on vous résume grosso modo.

  • Reconnaître et valoriser le rôle de l’entraîneur, personnage de l’ombre du tennis professionnel.
  • Autoriser au tennis une pratique courante dans la plupart des autres sports.
  • Rendre le tennis plus spectaculaire pour accroître son attrait auprès de nouveaux publics.
  • Mettre fin à l’hypocrisie générale puisque malgré l’interdiction, la pratique est courante pendant les matchs.

En voyant Antoine Benneteau, le frère-entraîneur de Julien, aujourd’hui commentateur sur beIN Sports, réagir lui aussi à l’échange Dehaes/Kasatkina, on a décroché notre téléphone pour lui demander son positionnement sur le sujet.

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« Quand j’ai commencé à commenter les femmes sur beIN, j’étais plutôt contre. Parce que pour moi le tennis est un sport où on peut préparer le match en amont et après c’est au joueur de trouver les solutions sur le terrain, de réagir avec le peu de temps qu’il y a dans l’action, et je trouve que c’est une dimension importante du tennis. Après, quand ça donne lieu à des choses comme a vues avec Philippe Dehaes et Kasatkina, c’est intéressant. Je ne suis pas encore vraiment arrêté sur la question, je suis un vagabond idéologique, mais j’ai trouvé ça super bien, ce qu’il a fait. » »

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Au-delà de la question et des nombreuses problématiques qu’elle engendre (et que nous avions abordé dans un précédent papier), Antoine Benneteau a titillé notre intérêt quand il a pris de la hauteur : « C’est intéressant en fait parce que ça questionne sur l’identité même de ce sport. Ou est-ce qu’on a envie d’aller ? Est-ce qu’on veut en faire un objet de spectacle comme on peut le voir avec la Laver Cup ou alors est-ce qu’on reste sur des choses plus conservatrices ? Si on se pose la question, c’est que c’est un marqueur important et il ne fait pas l’occulter. »

Tradition vs modernité

Conservatisme, le mot est lâché. Dans son texte, Patrick Mouratoglou parle de traditionalisme mais l’idée est là : « Ce sujet (…) est symptomatique de l’affrontement de deux courants au sein des dirigeants de notre sport dans le monde : les traditionalistes et les modernes. »

Ce qu’il pointe du doigt est intéressant dans le sens où, aujourd’hui plus que jamais, le tennis semble être à un moment charnière de son histoire, tiraillé entre la volonté des uns de se réinventer et de s'ouvrir et celle des autres de ne pas dénaturer ce qui fait du tennis un sport à part. On le voit bien avec le débat sur la nouvelle formule de la Coupe Davis ou la création de la Laver Cup, cette exhibition créée de toutes pièces par Roger Federer où deux équipes, l’Europe et le Reste du monde, s’affrontent sur un week-end dans un format qui fait la part belle au showman et à la marrade. Une sorte de All-Star game NBA à la sauce balle jaune, la fureur du public et les litrons de bière en moins.

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Pour mettre en exergue ce combat entre les modernes et les traditionalistes, on a appelé Jean-Paul Loth, l'ancien coach de l'équipe de France de Coupe Davis de1980 à 1987. Il explique que cette (r)évolution reviendrait à « toucher à l’essence même de ce qu’est le tennis depuis toujours », à « renier l’intelligence et la capacité de réflexion et d’adaptation des joueurs. Je ne vois pas comment on peut être pour ça. Croire que les joueurs ne sont pas capables de se passer des conseils de leur entraîneur pendant les matchs, c’est vraiment les prendre pour des cons. »

Moderniser pour s’ouvrir à un nouveau public

Le tennis est l’un des seuls sports où le coach est persona non grata en cours de match ? Youpi, répond Loth : « Dans de nombreux sports, en cyclisme, en football américain, en sport auto, l’arrivée des oreillettes a tout dénaturé. L’apport personnel de l’athlète est de plus en plus mince. Ce n’est pas le cas au tennis et j’aime ça. » Pour le consultant de beIN Sports, « éthiquement ça va à l’encontre de ce sport où, c'est vrai, de tout temps c’est au joueur de trouver les solutions tout seul et s’il se plante de plan de jeu ou qu’il n’arrive pas à le mettre en place, tant pis pour lui. »

L’idée de Mouratoglou est de rendre le tennis plus attractif, plus sexy aux yeux du grand public, de vivre avec son temps, en fait : « Le coaching sur le court donne parfois lieu à de véritables scènes d’anthologie, écrit-il dans son communiqué. De nombreux joueurs laissent le stress les submerger, les échanges s’enflamment. Ils sont parfois drôles, parfois tumultueux, mais à chaque fois ils font recette sur les réseaux sociaux, car ils placent la dramaturgie au cœur de notre sport. » De son côté, Antoine Benneteau bascule tout doucement vers le côté moderne de la force: « A mon sens ça rend le tennis attractif, ça humanise la chose, ça peut permettre d’intéresser de nouveaux publics peut-être moins pointus sur le tennis. »

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Un côté sport spectacle, à l’image de La Laver Cup de Rodgeur, qui lui plaît bien. « Ce n’est pas quelque chose qui a une grosse portée sportive pour le moment, mais j’ai bien aimé comment ils mettaient en scène le coaching de Roger lors des changements de côté avec les joueurs de son équipe, confie Benneteau. Je pense que c’est un truc qui est dans l’air du temps. » Et qui ne plaît pas à Jean-Paul Loth.

« La Laver Cup, ce n’est pas une compétition, c’est du théâtre. Si on veut faire du tennis un sport-spectacle, je ne suis pas d’accord. Ou alors on le fait mais indépendamment du sport-compétition. Je ne suis pas contre le fait de faire évoluer le tennis, mais quand on voit de quelle manière c’est fait par moment, je pense notamment à la Coupe Davis, ça m’inquiète. » »

Pour finir à son tour son plaidoyer, l'ex-entraîneur tricolore nous invite à le suivre dans ses souvenirs d'entraîneur, sur le bord des courts, avec une technique bien à lui pour remotiver les troupes : « A l’époque où j’entraînais l’équipe de France, j’aurais détesté que les gens entendent ce que je racontais aux joueurs. Je restais poli mais bon, dans certaines circonstances je leur volais quand même dans les plumes. Quand je dis à un joueur "Mais t'es con, tu ne vois pas ce que t’es en train de faire ?", je n’ai pas envie que ce soit entendu par tout le monde. C’est une question d’intimité. C’est comme au foot, quand un coach doit pousser une gueulante dans les vestiaires, personne n’est là pour tendre l’oreille. » Pourtant ce serait tellement jouissif.