Roland-Garros : «Une Mercedes conduite comme une Sauber», tout le monde regrette la carrière de Monfils (Sauf lui, en fait)
TENNIS•Monfils voit sa carrière d’un œil différent que celui des médias français…Aymeric Le Gall
De notre envoyé spécial à Roland-Garros,
Au départ, si on nous avait demandé de résumer la carrière de Gaël Monfils, qui affrontera vendredi David Goffin au troisième tour de Roland-Garros, en une chanson, nous aurions sans hésiter fredonné Les regrets d’Alain Souchon. Mais depuis qu’on a lu l’interview de l’actuel 37e mondial dans les colonnes du Progrès, on est à deux doigts de changer de disque. Lequel ? Non, je ne regrette rien d’Edith Piaf. Voyez vous-même.
« Mais pourquoi voit-on un potentiel en moi ? Pourquoi pense-t-on que je ne l’exploite pas ? […] Si j’avais eu la possibilité de gagner vingt grands Chelems, ne vous inquiétez pas, je les aurais gagnés ! Je n’ai pas été le joueur qu’ils auraient voulu, mais je peux me regarder dans un miroir. Le seul regret que je peux avoir, c’est que je n’aurais jamais pensé que des gens soient aussi méchants dans ce milieu. » »
On ne sait pas si c’est nous les méchants, mais il y a de fortes chances qu’on en fasse partie. A avoir mis trop d’espoir sur ses épaules, à avoir écrit et réécrit qu’il aurait dû faire mieux vu le… potentiel (déso Gaël) qui était le sien, la presse s’est peut-être en partie trompée.
« Il aurait sûrement pu faire mieux mais… »
Pour en avoir le cœur net, on a posé la question à Patrick Chamagne, l’un de ses anciens coachs.
« Non, vous ne vous trompez pas. C’est vrai que dans un sens il n’a pas fait la carrière qu’il aurait pu faire. Avec ses qualités athlétiques et tennistiques, il aurait sûrement pu faire mieux. Mais dans la vie de Gaël, le tennis n’a pas toujours été au centre de ses priorités. Il n’a pas eu envie ou il n’a pas toujours eu le mental nécessaire pour se dire "bon, là, pendant dix ans, je mets tout sur le tennis et rien d’autre". Mais attention, ce n’est pas une critique, moi Gaël je le considère comme mon fils (sic). Il faut respecter les choix qui ont été les siens. Ce sont des choix de vie et on n’a pas à les juger. »
Sous-entendu : les médias ont jugé ses choix de vie, et c’est pas bien. On a bon ? « Oui, il y a de ça, sourit Chamagne. On peut vous reprocher d’avoir, au-delà des constats, qui ne se discutent pas, trop jugé ses choix de vie. » Mais ne fallait-il pas y voir aussi une marque d’estime ? Tout le monde savait que Gaël Monfils avait le potentiel pour aller emmerder les monstres du circuit et bousculer – au moins un petit peu – la hiérarchie mondiale. D’où la déception qui s’en est suivie quand cela ne s’est pas produit. Ou pas assez.
Il n’y a pas que les observateurs qui ont été déçus de ne pas voir ce showman, jouissif à voir jouer quand il est dans un bon jour, aller plus haut. Son coach de 2011 à 2012 aussi l’a mauvaise. Pas envers son ancien joueur, qu’il « apprécie énormément », mais envers lui-même.
« Je me sens coupable s’il n’a pas été jusque-là où il pouvait aller, c’est de ma faute. Je n’ai pas su trouver les clés pour qu’il se rende compte de sa force. Je suis frustré par ça. Pour faire une métaphore de Formule 1, j’avais la sensation d’avoir une Mercedes entre les mains et de l’avoir conduite comme une Sauber. Si j’avais été bon, j’aurais trouvé les arguments pour l’en persuader. J’ai échoué. » »
Le tennis et puis tout le reste
Oui et non finalement, puisque Monfils lui-même répète qu’il n’a pas de regret. « Quand il dit ça, il ne ment pas, il est sincère. C’est vrai. Il a fait la carrière qu’il a voulue », expose Chamagne. En profitant de sa vie comme il l’entendait, donc : « Gaël, il y a d’autres trucs que le tennis qui le font vibrer dans la vie. Il y a le basket, la musique, les montres et plein d’autres choses encore. » Sans parler des circonstances atténuantes. Qui, elles aussi, sont réelles.
- Les pépins physiques récurrents : « De ses 17 à ses 31 ans, il n’a jamais fait une saison complète sans être dérangé par son corps, ça n’aide pas. »
- Le trio de goinfres : « Faut aussi dire qu’il est tombé au beau milieu d’une génération de monstres, avec Federer, Nadal et Djoko… Ça ne laisse pas beaucoup de place derrière. »
On comprend un peu mieux maintenant ce que le demi-finaliste de Roland-Garros (il y a dix ans tout pile) avait derrière la tête quand il lâchait, toujours dans le Progrès, « la plupart des gens qui parlent de moi ne savent pas qui je suis ». Un homme qui a choisi son chemin, qui l’assume et ne regrette rien. Oui, tout compte fait Edith Piaf c’est très bien.